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REVUE DU PAYS DE CAUX

Mais le contrat d’association qui lie deux grands peuples ne doit pas être non plus un bandeau noir jeté au profit de l’un sur les yeux de l’autre.

Il ne faut pas débiner son associé ; il ne faut pas davantage s’aveugler sur ses mérites. Sans doute la mesure est malaisée à garder en cela comme en bien d’autres choses ; nos concitoyens parviennent difficilement à s’y tenir. Quelques-uns sont de secrets Russophobes très hargneux ; la majorité se compose de béats Russomanes, très épanouis. Les premiers formulent au fond d’eux-mêmes des jugements ténébreux et injustes ; les seconds répandent au hasard, sur toutes les institutions Moscovites, sans distinction, les fleurs faciles de leur enthousiasme.

Nous prétendons examiner sans arrière-pensée l’état de l’empire Russe, le juger sans passion, le critiquer sans déloyauté. C’est là l’objet des articles contenus dans le présent numéro. Laissant aux manuels de géographie économique, que chacun peut aisément consulter, le soin de renseigner le lecteur sur les richesses de la Russie et sur la mise en valeur progressive de ses immenses domaines, nous donnerons d’abord un bref résumé de son histoire, peu connue parce qu’on l’enseigne par bribes et jamais d’un seul morceau ; nous examinerons ensuite le problème central qui, à notre sens, domine la situation présente de l’empire : problème que les écrivains Français analyseraient très aisément s’ils s’étaient accoutumés à juger plus librement des choses de la Russie. Mais dès qu’il s’agit de ces choses, leur plume semble saisie d’une sorte de respect craintif.

Nous n’éprouvons rien d’analogue. L’empereur de Russie et le Président de la République Française sont, à nos yeux, deux chefs d’État de rang égal dont l’un porte dans les cérémonies un manteau d’hermine sur son uniforme et l’autre un simple ruban rouge sous son habit ; ils sont, l’un le représentant consacré, l’autre le mandataire légal de deux des plus grands peuples du monde. De ces deux peuples, l’un a présentement des domaines plus étendus et une puissance militaire plus nombreuse ; l’autre a, par contre, un passé bien plus long et plus éclatant, et, partant, une puissance morale bien supérieure.

Dans les effusions qui ont suivi la conclusion de l’alliance Franco-Russe, la dignité nationale a eu à souffrir de quelques entorses. Je crois bien qu’il s’est trouvé un ministre ou même un président du Sénat, assez peu soucieux de cette dignité, pour oser