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se rappeler qu’il n’est pas seulement l’empereur des Grands-Russiens, mais qu’il règne aussi sur 20 millions de Petits-Russiens, qu’il est souverain des provinces Baltiques et de la Lithuanie, roi de Pologne et grand-duc de Finlande. Ses domaines, en effet, sont peu homogènes. L’énorme Moscovie qui en occupe le centre est comme encerclée dans une série d’États autonomes qui en diffèrent essentiellement ; mœurs et aspirations politiques, organisation sociale, croyances religieuses, coutumes successorales, régime de la propriété, tout est dissemblable. C’est dans ces divergences précisément que réside le secret de la politique future. On affiche à Pétersbourg des prétentions d’unité et d’uniformité qui constituent une façade de plus ; derrière cette architecture trompeuse, il n’y a, en réalité, ni unité ni uniformité. Si la Pologne, par exemple, est nominalement assimilée aux provinces de l’Empire, c’est à la condition d’être exclue du bénéfice de toutes les lois un peu libérales qui règlent le sort de ces provinces. L’Esthonie et la Livonie, peuplées d’Allemands, de Letto-Esthoniens et de Finnois, ont été l’objet de mesures d’exception très rigoureuses. Le privilège des assemblées provinciales, créées par Alexandre ii, a été refusé non seulement à la Pologne et à la Lithuanie, mais à toute la Russie Blanche, à la Podolie et à la Volhynie ; par contre, on l’étendit aux Cosaques du Don qui pétitionnèrent ensuite auprès d’Alexandre iii pour être débarrassés de ces gênantes institutions. Les Tatars de l’est furent mieux traités que les Roumains de Bessarabie.

Enfin, tout récemment, une audacieuse tentative a été dirigée contre les libertés Finlandaises ; en admettant même qu’il n’y ait pas eu là une entorse au droit et à la foi jurée, la maladresse n’en subsisterait pas moins. Ce qu’on vient de faire, il faudra de toute nécessité le défaire ; les franchises et l’indépendance locales qu’on poursuit, seront le salut de tout l’empire. L’empereur a cette chance qu’aucune persécution n’a entamé la popularité de sa couronne chez les peuples même, qui en furent l’objet. Il semble qu’un peu de la philosophie résignée du moujik, accusant le tsar d’ignorer les abus dont il souffre, ait passé les frontières moscovites. Même en Pologne, ce sentiment existe ; la haine et le mépris s’arrêtent aux marches du trône. En vérité, il faudrait peu de chose pour faire d’Helsingfors, de Riga, de Varsovie, des foyers d’ardent loyalisme ; le souverain n’y puiserait pas seulement des forces nouvelles pour tenir son sceptre, il y trouverait les moyens