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REVUE DU PAYS DE CAUX

On voit combien, étant données les circonstances, l’espoir des slavophiles est chimérique. Le contact entre le trône et la commune, l’appui mutuel que se prêteraient le tsar et le moujik ne sont point réalisables. Il serait mille fois plus aisé de réunir la mer Noire à la mer Caspienne pour rendre à celle-ci son niveau que de tracer à travers la masse indécise des classes aisées le chemin qui irait du palais à l’isba. Pourtant, nous l’avons vu, le statu quo est impossible ; aujourd’hui, les réformes sont utiles ; demain, elles seront urgentes. Rien ne servirait d’en prendre la formule à l’étranger puisqu’on ne trouverait pas en Russie des éléments pour l’appliquer, mais il n’y a pas davantage à espérer faire jaillir du sol Russe une formule nouvelle ; on s’en rend compte, d’ailleurs, jusque sur les bords de la Néva ; il faut bien reconnaître maintenant que les beaux projets conçus au lendemain de l’émancipation des serfs se sont évanouis comme des mirages sur la steppe.


Vénalité et Corruption

À première vue, le tsarisme moderne fait assez bonne figure dans le monde : il semble réaliser cet idéal de « despotisme éclairé » dont la France s’était éprise au début du règne de Napoléon iii. On le voit porter partout la marque de sa sollicitude ; il n’est pas pour lui d’insignifiants détails ; il conçoit et exécute de beaux desseins tels que l’émancipation des serfs et tout récemment la conférence de la Paix ; sa force repose sur l’affection constante de tous ; c’est un fait indéniable qu’en Russie la famille impériale est chérie plus encore que respectée par la grande masse de la Nation. Il en était déjà ainsi quand l’empereur s’appelait Paul ou Nicolas ier. Ce n’est pas le passage sur le trône d’un prince aussi vertueux qu’Alexandre iii qui a pu affaiblir de tels sentiments. Tout cela est vrai, mais il est également vrai que toute une part de gouvernement se trouve — tant par la force des choses que par le rôle intéressé de certains fonctionnaires — soustraite au contrôle du tsar et que partout où ce contrôle fait défaut, la vénalité et la corruption ont libre carrière. En supposant même que par un effort presque surhumain on parvienne à extirper ces vices qu’une longue tradition a profondément enracinés, que pourrait-on contre la méfiance qui répond d’en haut à la confiance d’en bas ? Un pouvoir despotique est tenu d’être méfiant ; plus le pays est vaste, peuplé et actif, plus ses gouvernants sont incités