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amants (il est généralement admis que Pierre iii était incapable d’engendrer et dès lors le sang des Romanoff ne coule plus dans les veines de la dynastie qui porte ce nom) était un homme déséquilibré et violent, mais doué pourtant de certaines qualités et dont rien ne justifiait l’assassinat ; dans le complot trempa ouvertement son fils aîné Alexandre, ce futur Alexandre Ier auquel Napoléon offrit à Tilsitt le partage du monde et, qui parti d’un libéralisme exalté, aboutit au plus rétrograde des mysticismes. Napoléon l’appela dédaigneusement « Grec du Bas-Empire » et Adam Czartoryski, son ami et confident a avouer que « l’empereur aimait les formes de la liberté comme on aime les spectacles ». C’était, en effet, un despote sucré.

À la mort d’Alexandre, en 1825, son frère Constantin persistant dans le serment qu’il avait fait sur le cadavre de leur père assassiné de ne jamais régner, le trône revint à Nicolas Ier, troisième fils de Paul. On trouve pour la première fois en Nicolas ce sentiment profond du devoir et de la responsabilité qui se développe chez les césars d’aujourd’hui et en fait des chefs populaires et respectés pour les démocraties modernes. Nicolas d’ailleurs ne fut point un de ces césars ; la démocratie n’existait pas autour de lui et son tempérament le détournait du libéralisme théorique. Il mérite à plusieurs égards les reproches de l’histoire mais il ne méritait pas de voir, en mourant, s’ajouter la tristesse des défaites de Crimée à celles que lui causaient, au-dedans, l’impéritie et la malhonnêteté de l’administration.

Alexandre ii (1855-1881) employa les années de « recueillement » que le traité de Paris lui imposa à transformer son empire. La plus importante de ses réformes fut l’abolition du servage. Il réorganisa la justice, institua des jurys, créa des assemblées provinciales appelées Zemstvos, accorda quelque liberté aux universités et à la presse. Que tous ces changements aient provoqué des plaintes, même ou surtout de la part de ceux qui devaient le plus en bénéficier, ce n’est pas bien étonnant : ainsi va le monde. Mais qu’ils aient médiocrement modifié le geste — et pas du tout la pensée Russe, voilà de quoi surprendre. C’est là une chose que ne doit jamais perdre de vue celui qui veut comprendre la Russie ; pour s’accommoder de nos formes d’esprit, de notre mentalité occidentales, il faut qu’elle les transforme lentement à son image : rien ne sert de la brusquer. Vivra-t-elle jamais du reste de notre vie morale ? Cela n’est pas certain. Alexandre iii parut en douter ;