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REVUE DU PAYS DE CAUX

créant le tchin, cette hiérarchie de fonctionnaires, ce mandarinat déplorable, Pierre inocula à la Russie un véritable cancer dont la guérison n’est pas même entreprise à l’heure présente. En créant le Saint-Synode, il édifia, au centre de son Église, une sorte de Bastille morale qui, après deux siècles, n’est pas encore prise. Creuser des canaux, frapper des monnaies, établir l’état civil, ses successeurs eussent pu le faire à sa place ; de telles améliorations étaient, pour ainsi dire, dans la force des choses ; mais sans lui, probablement, il n’y aurait eu ni tchin ni Saint-Synode. Il convient d’ajouter que si peu civilisée que restât, sous son vernis occidental, la Russie d’alors, si barbares qu’y fussent les mœurs, on n’y avait point encore assisté à un spectacle aussi ignoble que celui donné par le tsar Pierre dans sa conduite envers son fils Alexis ; on avait vu des pères assassiner leurs enfants, peut-être ; on n’en avait pas vu les mettre à mort lentement dans d’odieux supplices, chaque jour renouvelés ; et, après tout, Pierre était, en grande partie, responsable de la mauvaise éducation qu’avait reçue le tsarévitch. Bien d’autres traits de sa vie rappellent que ce grand empereur fut en même temps un homme abject. Et, par là, il méritait l’étrange héritière que le sort lui réservait.

Presque sans interruption, le trône impérial, soixante-dix années durant, devait être occupé par des femmes, en ce pays où les femmes, cent ans plus tôt, vivaient enfermées dans une sorte de gynécée d’où elles ne pouvaient sortir. On sait l’étonnante série d’événements qui firent d’une bonne d’enfants, devenue la maîtresse d’un grand seigneur russe, une impératrice autoritaire ; il se trouva qu’à la mort de Pierre le Grand tous les fonctionnaires eurent intérêt à se rallier autour de sa veuve, craignant qu’une réaction n’accompagnât l’avènement de son petit-fils, le fils de l’infortuné tsarévitch Alexis. Et le plus déconcertant c’est que le règne, d’ailleurs très court de Catherine ire (1725-1727), fut avantageux pour la Russie et que les initiatives de la souveraine improvisée furent presque toutes heureuses. Après Catherine il n’y avait pas moyen d’éluder les droits du prince Pierre ; elle même le sentait et l’avait désigné à son lit de mort. Mais Pierre ii mourut trois ans après sa belle-mère. Il ne restait plus pour hériter que les filles de Pierre le Grand ou les filles de son frère Ivan ; l’une de ces dernières, Anne, duchesse de Courlande fut désignée par le Haut Conseil, embryon d’oligarchie qui s’était constitué sous Catherine et lui avait survécu. Mais une tentative dudit conseil