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REVUE DU PAYS DE CAUX

habile des princes de Moscou qui se firent collecteurs d’impôts pour les Khans leur procura la richesse en même temps qu’elle leur assurait la protection de ces redoutables souverains. Tandis que les chevaliers Porte-glaives peuplaient les provinces Baltiques de colons étrangers, que l’ancien empire de Rourik s’émiettait et subissait, après l’influence Byzantine, l’influence Polonaise, une double évolution nationale s’opérait en Grande Russie. Couchés sous le joug, obligés à vivre de patience, de prudence et de lointains espoirs, les sujets regardaient vers leur prince comme vers le seul intermédiaire dont le crédit auprès du Khan put leur procurer quelque amélioration dans leur rude destinée ; et celui-ci, fort de l’appui du suzerain, en profitait pour ruiner ses rivaux, annexer leurs domaines aux siens, agrandir et fortifier sa puissance de vassal jusqu’au jour où il se sentirait assez tort pour s’émanciper de toute suzeraineté. Étranges figures que ces princes de Moscou, durs et farouches envers les adversaires du nord ou de l’ouest, souples et adulateurs dès qu’il s’agissait de l’adversaire du sud-est. Le premier, Daniel, était le fils de cet Alexandre Newski, vainqueur des Suédois et des chevaliers Porte-glaives auquel la postérité fit une auréole : il avait reçu dans l’héritage paternel Moscou qui n’était encore qu’une pauvre bourgade. Derrière lui passèrent Ivan Kalita, sorte de Louis XI rusé, sans scrupules, passionné d’avenir et grand patriote à sa façon. Siméon le superbe, Dmitri du Don surtout, qui, trop tôt, crut entendre sonner l’heure du grand réveil et remporta, en 1380, sur les Mongols, la victoire de Koulikoro. Mais la Horde d’or n’avait eu qu’une défaillance ; Tamerlan précisément venait de reconstituer l’empire de Gengis-khan et une nouvelle vague Asiatique reflua sur la malheureuse Russie. Moscou fut détruite, la misère régna et l’œuvre lente et sage parut compromise à jamais.

Alors avec une persévérance inlassable, la vieille politique reprit le dessus ; le souvenir de Koulikoro entretint à la fois la prudence des princes et le loyalisme de leurs sujets. Ainsi s’acheminait vers le terme de sa longue préparation à la vie nationale cette Russie à laquelle il avait fallu que des Normands donnassent un gouvernement ; Byzance, une foi ; les Mongols, la force et l’unité. La Horde d’or se désagrégeait ; certes les groupements issus de cette désagrégation ne seraient point, pendant bien longtemps, des voisins commodes ; mais aucun d’eux ne se trouverait désormais de taille à résister aux Moscovites. La Russie allait