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CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

Morts illustres.

D’abord Ladislas Rieger, le célèbre leader Tchèque, gendre et successeur de Palacky. Il est mort à 84 ans ayant employé toute son existence à provoquer le réveil de sa nation, à rendre aux Tchèques la conscience de leur race, l’usage de leur langue, la connaissance de leur histoire. C’est un beau rôle et qui méritait l’apothéose funèbre par laquelle il a pris fin. Au cours de sa longue carrière, Rieger n’avait pas été sans se faire des ennemis, et ceux-là même qui lui devaient le plus n’avaient pas toujours su le comprendre et continuer d’avoir foi en lui. Mais combien toutes les divergences et toutes les querelles se sont vite tues devant la magnifique unité d’une telle vie dès que la mort, en y mettant fin, l’eût affirmée devant la Bohême attentive. Tout un peuple ému et reconnaissant a fait cortège aux restes mortels de Ladislas Rieger lorsqu’ils ont quitté le dôme central du musée national de Prague où ils venaient d’être l’objet d’un hommage enthousiaste. La vieille cité présentait, ce jour-là, un inoubliable aspect. Les murailles séculaires voyaient passer le cortège de la revanche ; Prague devait ressentir quelque chose de ce qu’éprouva la Rome chrétienne, lorsqu’émergeant de la profondeur des catacombes, elle parut au plein air de la liberté. Prague reconquise par les Tchèques sortait de même d’une rude servitude et voyait ses chaînes tomber autour d’elle. Dans les âmes de la génération qui fut témoin de ces luttes héroïques — plus héroïques peut-être par l’abnégation et la patience que celles des armes — le nom de Rieger vivra auréolé d’une juste gloire ; comme règne sur les cœurs Magyars le grand nom de Kossuth.

La France a fait à son tour des pertes sensibles : Gaston Paris, l’éminent administrateur du Collège de France, et Ernest Legouvé le vénéré doyen de l’Académie Française : un doyen dont on se flattait de célébrer, dans trois ans, le centième anniversaire, et l’ambition n’avait rien de démesuré. Legouvé, qui pratiqua jusqu’au bout le journalisme et l’escrime, avait fait paraître, il y a quinze jours à peine, son dernier article et pris, plus récemment encore, sa dernière leçon de fleuret ; c’est indiquer quelle vieillesse exceptionnellement vigoureuse était la sienne. La presse et les représentants des corps savants ont dit, en cette circonstance, tout ce qu’il y avait à dire en l’honneur de ces deux membres très distingués et très regrettés de l’Institut de France.