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REVUE DU PAYS DE CAUX

Mais c’est toujours ainsi, dans ces marches en avant ; elles ne s’opèrent qu’à coup d’audaces. Si nos officiers n’avaient point outrepassé leurs ordres, serions-nous à Tombouctou à l’heure actuelle ?

Ménélik et le duc d’Entotto.

En des jours d’affectueuse lune de miel, S. M. Ménélik « roi des rois » d’Éthiopie, comme il s’intitule modestement, s’était avisé de fonder un duché nouveau sur le sol de son royaume et de l’attribuer à M. Lagarde, ministre de la République Française près de son auguste personne. Ainsi devint M. Lagarde, duc d’Entotto ! Mais comme vous le savez, la roche Tarpéïenne est près du Capitole. M. Lagarde, qui plaisait tant sous son premier nom cessa de plaire sous le second. Peut-être bien n’est-ce pas de sa faute. Il est de très bon ton, chez nous, de se répandre en expressions d’enthousiasme admiratif à l’égard de Ménélik ; il est beau ! il est brave, il est noble, il est généreux, il est loyal, il a toutes les vertus et c’est, en somme, le modèle des souverains chrétiens ! Nous croyons que les soldats Italiens, faits prisonniers pendant la guerre de l’Érythrée, et mutilés par respect des anciennes coutumes auxquelles on ne voulait point renoncer, ont une médiocre estime pour le « christianisme » de Ménélik ; il est trop clair que la cruauté et beaucoup d’autres vices barbares règnent encore en Éthiopie et que l’idée chrétienne n’y existe même pas. Ménélik est, en effet, un barbare, mais un barbare élégant ; c’est quelque chose. L’élégance, ou pour mieux dire le goût des élégances, peut ramener à la barbarie les natures quintessenciées par la civilisation ; mais elle en dégage à merveille les natures primitives. Ménélik et sa cour sont en bonne voie ; c’est tout ce qu’il est permis d’en dire.

Le duc d’Entotto s’étant brouillé avec Sa Majesté, on a rappelé M. Lagarde ; et on a bien fait. Il faut de toute nécessité que nous ayons là-bas un représentant qui ait « l’oreille » du souverain ; car les intérêts confiés à sa charge sont considérables. L’Éthiopie, on le sait, est séparée de la mer par une sorte de morceau de Sahara égaré dans l’est du continent africain. Le commerce s’accroissant là comme partout, il fallait bien recourir à la locomotive pour annihiler ledit désert et mettre Addis-Ababa, capitale du royaume, à portée des navires d’Europe. Seulement,