Page:Revue du Pays de Caux n2 mai 1902.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
REVUE DU PAYS DE CAUX

degré de prospérité que les puissances d’Europe la courtisent l’une après l’autre et, déjà, recherchent son alliance.

Le Scandale des Philippines.

Il est un point noir pourtant, dans l’éclat de ce resplendissement : le jeune soleil a déjà ses taches ; la dernière qu’on ait signalée n’est pas la moindre. Il semble, toute part faite aux exagérations facilitées par l’éloignement, que d’abominables cruautés aient été commises par des soldats Américains aux Philippines. Des récits de tortures, le bruit d’une dévastation et d’un massacre systématiques dans plusieurs provinces ont mis l’opinion en émoi. Le président Roosevelt a ordonné une enquête des plus strictes et nul doute que les coupables, s’il y en a, ne paient cher leurs crimes. Il faut reconnaître d’autre part, la juste sévérité avec laquelle, dans l’Afrique du Sud, Lord Kitchener a châtié des officiers Australiens, coupables d’avoir assassiné des Boers sans armes : cette exécution aura produit un effet salutaire. N’empêche que ces divers incidents révèlent un danger d’ordre spécial, auquel sont exposées les grandes démocraties qui improvisent des armées. Lors de la guerre Hispano-Américaine, on fut très frappé, en Europe et en Allemagne tout particulièrement, des services rendus par les volontaires Américains : on admira leur énergie, leur audace, leur endurance, la rapidité avec laquelle ils devenaient de vrais soldats. Dans des circonstances plus pénibles, c’est-à-dire pour une cause moins juste et devant une résistance bien plus lassante, les Anglais montrèrent en Afrique, des qualités analogues. Voici pourtant que, dans ces soldats improvisés, la brute humaine apparaît, subitement déchaînée : braves et honnêtes gens peut-être dans la vie civile, ces hommes se montrent, sous les armes, bien plus barbares et plus cruels que les soldats de métier. C’est logique après tout, car c’est très humain ; l’histoire d’ailleurs confirme la chose par maints exemples que nous avions oubliés…, seulement, il en résulte ce paradoxe très original que l’unique moyen pour une démocratie de demeurer clémente et juste, dans les combats qu’elle peut être appelée à soutenir, c’est d’entretenir une armée permanente, régulière et véritablement nationale…, c’est assez inattendu.