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REVUE DU PAYS DE CAUX

Elle est dans une fausse conception de la vie humaine et, en particulier, de la vie nationale ; le sens collectif de l’existence échappe aux Français ; ils n’en savent saisir que le sens individuel. Ils raisonnent comme si les limites de leur propre durée étaient aussi celles de la race. Ils parlent volontiers de leurs ancêtres ou de leurs descendants, mais en réalité ils ne pensent guère à eux ; le moment présent les occupe tout entiers.

Cependant, même dans une existence individuelle, l’évolution lente et continue se fait sentir ; il vous arrive d’approuver aujourd’hui ce que vous blâmiez hier — et sans qu’il y ait de votre part légèreté ou inconséquence, simplement parce qu’autour de vous, les circonstances ont changé : vous acceptez de bon cœur ce dont vous ne vouliez pas ; vos goûts diffèrent, vos habitudes se modifient ; et il vous faut quelques réflexions pour retrouver vos jugements et vos appréciations d’antan ; ils vous étonnent alors : vous êtes surpris d’avoir tant évolué.

Comment donc une nation, qui est un être collectif entouré d’autres êtres collectifs, n’évoluerait-elle pas, elle aussi ? Et quand tout évolue, même la religion, d’où viendraient pour elle, l’immobilité et la stagnation ?

Il n’y a, dans toute l’histoire de France, qu’un seul véritable sauveur ; c’est une femme, c’est Jeanne d’Arc. Encore que la domination Anglaise n’eût pas plus tué la France que la domination Maure n’a tué l’Espagne, où que la domination Turque n’a tué la Grèce, notre pays était en péril quand Jeanne parut. Il ne l’a jamais été depuis, pas même en 1814, pas même en 1870.

Alors, n’est-il pas un peu ridicule de vous entendre, mes chers compatriotes, parler des Jésuites et des Francs-maçons, des Juifs et des socialistes, du Pape et de l’Étranger, comme si votre vie nationale était à la merci des uns et des autres. Vous vous êtes battus bravement quand il l’a fallu ; vous le feriez encore s’il le fallait. Alors, pourquoi vous attardez-vous bêtement, comme des garçons poltrons, dans la peur des croquemitaines ?

Vous ne serez, de votre vivant, ni perdus ni sauvés. Vous serez — et la France sera par vous — forts ou faibles selon ce que vous dépenserez pour le bien collectif, d’énergie, de patience et de sens commun.