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LES FRANÇAIS EN CHINE

tions sociales et dans toutes les circonstances de la vie. L’invasion a naturellement permis aux artistes locaux de renouveler leurs inspirations ; ils ont représenté les « guerriers étrangers », types et costumes reproduits, paraît-il, avec la plus étonnante exactitude. « Or, les minutieux modeleurs, écrit Loti, ont donné aux soldats de certaines nations européennes, que je préfère ne pas désigner, des expressions de colère féroce, leur ont mis en main des sabres au clair ou des triques, des cravaches levées pour cingler. Quant aux nôtres, coiffés de leur béret de campagne et très Français de visage avec leurs moustaches faites en soie jaune ou brune, ils portent tous tendrement dans leurs bras, des bébés Chinois. Il y a plusieurs poses, mais toujours procédant de la même idée : le petit Chinois, quelquefois, tient le soldat par le cou et l’embrasse ; ailleurs, le soldat s’amuse à faire sauter le bébé qui éclate de rire : ou bien il l’enveloppe soigneusement dans sa capote d’hiver… Ainsi donc, aux yeux de ces patients observateurs, tandis que les autres troupiers continuent de brutaliser et de frapper, le troupier de chez nous est celui qui, après la bataille, se fait le grand frère des pauvres bébés ennemis ; au bout de quelques mois de presque cohabitation, voilà ce qu’ils ont trouvé, les Chinois, et ce qu’ils ont trouvé tout seuls, pour caractériser les Français ».

Par ordre des commandants alliés, les statuettes accusatrices furent saisies et les moules brisés ; seules, quelques rares statuettes de Français demeurèrent en vente. Il est regrettable qu’on n’ait pas pu en répandre en Europe de nombreux exemplaires. Comme dit Loti, « ce serait pour nous, par comparaison, un bien glorieux trophée rapporté de cette guerre — et, dans notre pays même, cela fermerait la bouche à nombre d’imbéciles ».

Des massacres eurent lieu pourtant et ces tableaux idylliques, pour exacts qu’ils soient, ne doivent point égarer le jugement sur les événements de Chine. Mais, ici encore, un passage du livre de Loti explique très clairement ce que, de loin, nous eûmes quelque peine à comprendre. « Les Boxers, d’abord, ont passé, dit l’éminent écrivain à propos de la ville de Tong-Tchéou, plus maltraitée encore que Pékin ; puis sont venus les Japonais, héroïques petits soldats, dont je ne voudrais pas médire, mais qui détruisent et tuent cumme autrefois les armées barbares. Encore moins voudrais-je médire de nos amis les Russes ; mais ils ont envoyé ici des Cosaques voisins de la Tartarie, des Sibériens à demi