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REVUE DU PAYS DE CAUX

LA FILLE SAUVAGE



Un gentilhomme, riche et de bonne noblesse, le vicomte François de Curel, qui s’est fait homme de lettres et auteur dramatique et qui ne redoute point les sujets originaux ou compliqués vient de mettre en six actes tout le problème de la colonisation, — le problème moral, s’entend et non pas l’économique. Ces six actes ont été joués à Paris, au théâtre Antoine et les spectateurs en furent un peu ahuris, ce qu’on ne saurait leur reprocher, car ce spectacle était évidemment étrange au premier chef. Qu’on en juge.

Premier et deuxième actes. La scène se passe chez les Amaras, peuple de l’Afrique Occidentale qui jouit, sous le sceptre du roi Abiliao, d’un commencement de civilisation. Ce sont encore des « barbares » ; ce ne sont déjà plus des « sauvages » ; et même ils marquent un profond dédain pour ceux qu’ils nomment « sauvages », peuplades complètement arriérées, campées dans les forêts avoisinantes et qui vivent à la manière des bêtes… Précisément une fille sauvage est tombée dans un piège à ours et le chasseur qui a tendu ce piège se demande s’il a capturé un animal ou un être humain : frontière presque indécise… C’est bien une femme. Que va-t-on en faire ?… À la « cour » du roi Abiliao se trouve, un explorateur français, Paul Moncel, qui parcourt depuis longtemps ces régions, hanté par le désir de savoir enfin si l’homme n’est pas un singe dégénéré… pardon, régénéré. Paul Moncel qui va rentrer en Europe, demande à Abiliao de lui faire cadeau de la fille sauvage ; il tentera de l’élever. Affaire faite. Rideau.

Troisième acte. Paul Moncel a confié la fille sauvage à sa propre sœur qui est supérieure d’un couvent en province. Il revient au bout de deux ans environ, juger des progrès accomplis. Encore que sa protégée parle un français très défectueux et n’ait pas l’air particulièrement bien élevée, elle a fait des progrès un peu trop rapides ; mais c’est pour les nécessités de la pièce que les choses se passent ainsi ; mettons, si vous voulez, qu’elle est restée six années dans ce couvent et cela rendra sa transformation plus vraisemblable. La transformation toutefois n’est pas très complète. La fille sauvage — qu’on appelle à présent Marie — a