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les mains en des gestes qu’hier encore on jugeait impossibles ? Qu’est-ce donc, sinon la question d’Autriche, en vue de laquelle chacun prend les dispositions que lui suggère la prudence, oubliant ses griefs de la veille pour ne songer qu’aux redoutables éventualités du lendemain ?

Au point de vue pratique nous discernons donc deux faits de la plus haute gravité qui peuvent se résumer ainsi. Premièrement, la question d’Autriche fera éclater presque inévitablement une guerre entre l’Allemagne et la Russie. Secondement, de la conduite de la France en cette circonstance dépendra celle du reste de l’Europe. N’avions-nous pas raison de dire tout à l’heure que cette alternative était une des plus formidables qui aient pesé sur la France dans tout le cours de son histoire ?

Si nous faisons la guerre, ce sera par sentiment ou par intérêt. Examinons rapidement ces deux hypothèses.

Par sentiment ? Oui, pour défendre les Tchèques dont le francophilisme est ardent et ne s’est jamais démenti. Mais pourquoi ne ferions-nous pas aussi la guerre pour les Polonais, pour les Finlandais, pour les Boers, pour les Grecs et surtout pour les Arméniens, nos protégés héréditaires ? Qu’adviendrait-il, de nos jours, d’un grand pays qui serait assez fou pour s’inspirer d’une politique à la Don Quichotte et tirerait l’épée chaque fois qu’il se trouverait un faible à protéger, un persécuté à délivrer ?… La ruine serait vite à ses trousses et, avec la ruine, le discrédit et la décadence. En tous les temps, les guerres ont été affaires d’intérêt. Cela est vrai des croisades elles-mêmes. Par contre, le sentiment fut impuissant à unir contre l’Angleterre et plus tard contre la France, les monarchies d’Europe, directement insultées et menacées par la mort de Charles Ier et par celle de Louis XVI.

Reste l’intérêt. Que nous commande le nôtre ?… À cette question nous ne répondrons point aujourd’hui. Que nos lecteurs y réfléchissent. Nous y reviendrons. Bornons-nous à leur suggérer quelques éléments d’appréciations dont ils feront leur profit :

1o  En cas de guerre où seraient engagées d’une part la France, la Russie et l’Italie, de l’autre l’Allemagne et l’Angleterre, la France serait par sa position géographique de beaucoup la plus exposée ; de sorte que, même victorieuse, elle subirait des pertes