Page:Revue du Pays de Caux n1 mars 1902.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
REVUE DU PAYS DE CAUX

repasser votre géographie. Peut-être n’avez vous jamais remarqué combien la géologie s’y est divertie aux dépens de la politique. Dans le haut du continent, on s’arrange encore à l’amiable. La Colombie, la République de l’Équateur et le Pérou ont pris façade sur l’Océan Pacifique ; le Vénézuela et les trois Guyanes, serrées comme trois moineaux sur un branchage, se baignent les pieds dans l’Atlantique. Mais plus bas, la Cordillière des Andes grandit démesurément et, du même coup, se rapproche du rivage dans une évidente pensée de tyrannie systématique à l’égard des Chiliens : un peu plus, elle les flanquerait à l’eau. Pauvres Chiliens, que voulez-vous qu’ils deviennent sur une bande de terre étroite comme l’esprit d’un sectaire et longue comme une négociation diplomatique ? Devant eux, une mer immense et vide d’où surgit ironiquement la petite île de Pâques dont ils se sont fait une colonie. Derrière eux, la formidable muraille des Andes, sous laquelle finira bien par passer un chemin de fer, mais qu’un peuple entier ne réussira jamais à franchir. Avec cela, un sol fertile, de l’ambition, de l’énergie, de la richesse. Au Nord, il y avait de belles ressources minières ; elles appartenaient à la Bolivie ; ils ont fait la guerre et les ont prises. Cela leur a procuré de l’agrément et des occupations intéressantes. Mais l’appétit a été vite rassasié et ils aimeraient bien, à présent, renouveler l’opération, vers le Sud, cette fois, où gisent d’autres ressources, que la République Argentine, occupée avec ses troupeaux, n’a pas encore entrepris d’exploiter. Précisément, la frontière de ce côté est très indécise ; il y a matière à contestation et de la meilleure foi du monde. La dispute était déjà soulevée et nonobstant que le Roi d’Angleterre eût été, au début (quand il ne s’agissait que d’un tracé à vérifier) choisi comme arbitre, le Chili faillit provoquer la guerre sans attendre la décision de l’arbitre, dès qu’il vit que le territoire contesté en valait la peine. Seulement, c’est une grave affaire que de se battre avec les Argentins qui ont de quoi se payer des canons et qui ne manquent point de patriotisme. Au dernier moment, les plus belliqueux ont hésité et d’un commun accord, on s’est efforcé d’apaiser l’effervescence qui montait ferme sur chaque versant des Andes. Il est à craindre que l’apaisement ne soit que provisoire. Voilà une affaire qui a bien des chances de ne pas finir gentiment.