Page:Revue du Pays de Caux n1 janvier 1903.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
REVUE DU PAYS DE CAUX

où ils seraient traités en esclaves, l’Amérique du Nord leur défend de pénétrer sur son sol précisément pour ce même motif qu’ils travaillent à trop bon marché. Voilà, en vérité, une alternative décevante : Cette race que les États-Unis rejettent et proscrivent et que l’Angleterre souhaite d’importer dans une portion de son empire pour l’y réduire en un demi-esclavage de fait, sinon de droit — est-elle oui ou non, une race humaine, l’égale des autres selon la morale évangélique et jouissant de la liberté d’aller et venir propre à tous les peuples, de par les lois modernes ? Vous ne pourrez sortir de là qu’en avouant les fréquentes entorses que subit la morale évangélique et la façon fort capricieuse dont sont appliquées les lois modernes. Alors, tâchons d’être un peu moins fiers de notre évangélisme si rudimentaire et un peu moins certains de la perfection d’une législation dont nos intérêts règlent trop souvent l’application.

Thiers et Manteuffel.

La publication de la correspondance échangée entre M. Thiers, chef du pouvoir exécutif et le général de Manteuffel, commandant en chef des troupes Allemandes d’occupation, nous apporte des détails inédits et très intéressants sur une douloureuse époque. Les lettres s’échelonnent entre Juillet et Décembre 1871 ; elles font grand honneur à la loyauté d’ailleurs bien connue du général Allemand ; elles projettent aussi en pleine lumière l’extrême habilité du négociateur Français ; elles montrent enfin quel était alors l’extraordinaire prestige dont jouissait Thiers et combien ce prestige nous a été utile. Ce n’était pas seulement sa valeur d’ailleurs contestable et contestée d’homme d’État et d’historien qui assurait au chef du pouvoir exécutif une si grande action personnelle ; il incarnait à la fois la monarchie constitutionnelle que l’Europe et la France se prenaient maintenant à regretter, et en même temps, cette ardente opposition à la guerre prochaine qui s’était traduite, dans les derniers temps de l’empire, en de si éloquents discours. Par dessus tout, Thiers avait infiniment de charme ; il savait, dans un entretien comme dans une lettre, s’emparer d’un homme, le retourner, se l’attacher ; et rien n’est plaisant — si l’on ose employer ce terme quand il s’agit d’événements si dramatiques — comme de voir l’officier Allemand se laisser prendre à l’art subtil et ingénieux de l’écrivain…