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véritable goût. C’est un poète objectif, mais nullement réaliste.

Une qualité non moins frappante que la clarté, est la grandeur merveilleuse du récit. L’auteur de ce poème eut, avec le don de vision, une rare puissance d’imagination. Dans le lointain du temps et de l’espace, où se déroulent les événements qu’il raconte, il entrevoit les hommes et les choses, comme à travers un miroir grossissant. Toutefois, les objets, dans cet éloignement, lui apparaissent agrandis, mais non déformés. Son imagination, en effet, est toute pénétrée de raison et garde, jusque dans ses plus libres fantaisies, le sens de la mesure. Certaines de ses créations, il est vrai, nous semblent aujourd’hui étranges et disproportionnées. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces images ont été, un moment, l’expression de la réalité. C’est ainsi que la représentation d’un monde fantastique, tel qu’il nous apparaît dans ce poème, a été pour ces anciens hommes le système scientifique de l’univers, et que des monstres, tels que le taureau divin et les hommes-scorpions, n’ont été sans doute pour eux que la personnification d’une conception astronomique. Cette grandeur est, d’ailleurs, tempérée par un vif sentiment de la faiblesse humaine. Dans ce poème, les héros sentent et souffrent comme nous. Ne voyons-nous pas Gilgamès pleurer comme un enfant, sur le sort malheureux d’Eabani et trembler à la seule pensée de la mort ?

Si, do cette vue d’ensemble, nous passions à l’examen des détails, nous retrouverions dans les différentes parties du récit, descriptions, comparaisons, discours, les mêmes qualités de clarté et de grandeur réunies. Parmi les descriptions, en effet, les unes sont calmes et unies, les autres, vives et colorées. Il en est de même pour les comparaisons. Parfois nobles et un peu vagues,