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qui, placée au centre même de l’action, clôt le cycle des exploits et ouvre la série des voyages. Ainsi, d’un côté, des chants héroïques constituant une sorte d’Iliade, de l’autre, un roman d’aventures formant une manière d’Odyssée. On dirait d un immense bas-relief distribué eu deux larges panneaux, où seraient dépeintes des scènes de combat vis-à-vis de paysages variés. Chaque morceau, d’ailleurs, bien délimité et en harmonie avec l’ensemble.

L’épopée de Gilgamès, on le voit, n’est pas, pour employer le langage d’Aristote, eÙTuvo-nrov. Elle ne se laisse pas, en effet, aisément embrasser d’un seul coup d’œil. On ne peut la saisir dans son ensemble que d’une vue successive, en promenant, pour ainsi dire, alternativement ses regards sur deux plans. Il en résulte qu’elle n’offre pas la belle unité des œuvres classiques. L’esprit oriental usa, dès ses débuts, de cette libre manière des conteurs dont il ne se départit jamais. Il ne sut, en aucun temps, s’astreindre à cette rigueur logique, qui fait les œuvres savamment ordonnées. Le simplex dumtaxat et unum est la découverte propre du génie grec. Ce n’est pas à dire cependant que, dans notre poème, l’unité fasse absolument défaut. L’amitié de Gilgamès et d’Eabani établit une liaison et sert comme de point d’attache entre les deux parties. Elle est l’âme même de l’action. Tout s’explique, en effet, par la présence ou l’absence de l’ami. Gilgamès n’accomplit d’abord d’aussi grands exploits, que parce qu’Eabani est à ses côtés, il n’entreprend ensuite un aussi long voyage, que parce qu’il est séparé de lui. Cette amitié nouée entre les deux héros est le fil ténu, qui relie les uns aux autres les divers épisodes dont se compose le poème, depuis l’entrée en scène d’Eabani, jusqu’au moment suprême de son évocation.