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e du ciel. La déesse Aruru l’avait pétri d’étrange sorte. Eabani, en effet, est un être singulier, fait de tous les contrastes, une sorte de monstre. Sa physionomie tient à la fois de colle de l’animal, de l’homme et du dieu. Toute sa personne offre un mélange bizarre de beauté et de laideur, de force et de faiblesse. D’aspect inculte, il vivait à la façon d un sauvage. On le dépeint, en effet, sous les traits d’un mâle vigoureux, au corps velu, à la chevelure flottante, à la mise rustique, qui prenait un plaisir extrême à courir par monts et par vaux et à vivre parmi les bêtes. Un véritable enfant de la montagne, nature forte et faible à la fois, capable d’ardeurs et de défaillances.

La vie d’Eabani va comme de pair avec celle de Gilgamès. Elle est remplie par les mêmes exploits, dirigée toute entière vers le même but idéal. Nous voyons, en effet, Eabani, une fois subjugué par Gilgamès, accompagner le héros dans ses diverses expéditions, se mêler activement à ses luttes contre Humbaba, Istar et le taureau divin, jusqu’au jour où il succomba à une mort prématurée.

Nous n’aurions qu’une idée incomplète des caractères de Gilgamès et d’Eabani, si nous ne rappelions ici l’étroite amitié [1] qui unit les deux héros. Un sentiment, aussi fort que l’était l’amitié en ces âmes antiques, pouvait seul leur donner la force d’accomplir de tels travaux. Il ne faut donc point s’étonner, si ce sentiment absorbe à lui seul toute l’action, s’il en régit la marche et en commande les diverses parties. Notre poème se trouve divisé, suivant les vicissitudes mêmes que subit l’amitié de ces héros, en deux parties, dont l’une, est remplie par la présence de l’ami, l’autre, toute imprégnée encore

  1. Sur l’amitié de Gilgamès et d’Eabani, voir passim, d’un bout à l’autre du poème.