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rendues : ils ne connaissaient que des abus de pouvoir et des extorsions qui n’avaient pas été l’objet d’un jugement. C’est un spectacle admirable, dit-il encore, que de voir le soin avec lequel ils allaient au-devant des plaintes du peuple, et avec quelle justice ils prononçaient, soit contre le Roi, soit contre ses officiers. Alfonse, après avoir emprunté à son frère cette institution si utile, l’améliora et la rendit permanente. Quelquefois, comme en 1254, en Languedoc, les enquêteurs eurent un but politique ; ici c’était celui d’étudier les réformes que réclamait l’administration des provinces méridionales et de proposer celles qui paraîtraient désirables. Nous sommes amenés ainsi à dire un mot des rapports administratifs du comte Alfonse avec le clergé, la noblesse et le tiers-État, vaste sujet sur lequel M. Boutaric apporte également de nombreuses lumières.

Un fait inconnu jusqu’à ce que M. Boutaric le consignât dans son article de la Revue des questions historiques, doit être signalé. Il se rencontra des officiers du comte qui, du mépris de toutes les lois, revenaient sur les sentences de l’Inquisiteur ecclésiastique pour les aggraver. Le fanatisme peut-être, mais à coup sûr la cupidité, excitaient ces agents, car c’est pour augmenter les revenus en obtenant une confiscation que la sentence régulière ne comportait pas, que les juges séculiers faisaient illégalement périr sur le bûcher ceux que les inquisiteurs avaient seulement condamnés à la prison. Un dominicain, Renaud de Chartres, constata ces faits et dénonça énergiquement au comte Alfonse ces coupables abus ; une autre fois le sénéchal de Rouergue se plaignit vivement que l’évêque de Rodez, au lieu de condamner à mort six hérétiques, les eût condamnés seulement à la pénitence pour éviter ainsi à ces malheureux la confiscation. Ces révélations sont très-importantes pour apprécier l’état de l’opinion publique ; il est intéressant de voir ce conflit entre l’Inquisition et le pouvoir laïque au sujet de la punition des hérétiques ; certes, dirons-nous avec M. Boutaric, le beau rôle n’est pas du côté des agents du comte.

Avec les nobles, Alfonse, comme son frère saint Louis, se montrait sévère, mais juste. Dans les diverses provinces soumises au pouvoir du comte, la féodalité n’avait pas les mêmes allures. Dans le Poitou et la Saintonge, les biens qui unissaient le comte à ses vassaux étaient très-étroits, et ces derniers avaient envers leur seigneur des devoirs fort onéreux ; dans le Midi, ces liens étaient assez relâchés et, sauf en quelques endroits du comté de Castres et de la sénéchaussée de Carcassonne, la conquête de Simon de Montfort ne modifia pas sensiblement les anciens usages. Dès le XIIIe siècle, on pouvait, M. Boutaric en donne de curieux exemples, devenir noble moyennant finance, et, comme le dit un compte cité par l’auteur, un « novel chevalier, por esparnier à prouver sa noblesse, » n’avait qu’à payer deux cents livres. Dans le Midi même, la classe bourgeoise était tellement rapprochée de la classe noble que souvent les lignes de démarcation se trouvaient effacées. Partout, du reste, les tribunaux du comte, fortement organisés, firent la guerre à la féodal-