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loppé, car le Midi avait été moins que le Nord pénétré par la conquête germaine ; il y avait encore beaucoup d’alleux, c’est-à-dire de terres libres, et un régime municipal puissant restreignait les droits du seigneur. Ici une question intéressante se présente. Ce régime municipal fut-il, comme plusieurs l’ont cru, une continuation du régime municipal romain, et les consuls du XIIIe siècle peuvent-ils être acceptés comme les héritiers des anciens duumvirs ? M. Boutaric répond négativement, et c’est là un point d’histoire tout à fait neuf. Aucun texte ne permet d’établir cette perpétuité de juridiction. L’établissement du régime municipal en Languedoc fut toute autre chose que la suite des traditions romaines ; il ne fut pas non plus aussi pacifique qu’on le croit communément. Il y eut parfois dans les villes des insurrections violentes, et la force présida souvent à la naissance des consulats méridionaux. Le tiers-état était puissant dans ces contrées, et avait un esprit municipal aussi vivace mais moins exclusif que celui du Nord, car il admettait dans la commune les trois ordres : clercs et nobles siégeaient dans les conseils populaires à côté des bourgeois. C’est au milieu de ce pays, de ce peuple ardent, que, sous les yeux d’un clergé généralement assez relâché, l’hérésie vient à s’implanter ; non une hérésie déterminée dans sa croyance, mais multiple en ses manifestations : autant d’hommes, autant d’hérétiques différents, qui tous poursuivaient, il est vrai, le même but : la ruine complète de l’Église. On chercha à les convertir, mais les armes de la persuasion furent vaines, et comme, non contents de porter atteinte au dogme, ces hérétiques traduisaient leurs croyances en actes coupables, — M. Boutaric ne le dit pas assez, — la croisade fut prêchée contre les hérétiques du Midi. Le caractère purement religieux de l’expédition ne saurait être méconnu, a dit l’auteur, et il a raison ; il faut donc réduire de beaucoup l’influence de ces prétendues inimitiés de race qui auraient conduit les compagnons de Montfort. M. Boutaric explique la conduite prudente, circonspecte de Philippe-Auguste, et montre ensuite comment Louis VIII, aidé par un puissant mouvement du clergé méridional, entreprit la conquête des États de Raymond VII, devenu en ses derniers jours le champion autour duquel se rallièrent les catholiques patriotes qui l’avaient d’abord combattu. Une transaction habilement ménagée donna à la royauté une partie du Languedoc, et lui assura le reste. Le traité de Meaux fut donc, comme le dit M. Boutaric, un des grands faits de l’histoire de France.

À la période de guerre succéda la période de réparation, et c’est celle-là que le savant auteur étudie longuement. On a accusé Alfonse d’avoir anéanti la littérature provençale, mais cette littérature s’éteignit d’elle-même, malgré les efforts d’un prince lettré et ami des lettrés. On lui a reproché d’avoir tué la liberté ; ce n’est pas exact. Alfonse n’était pas un despote, mais un administrateur éclairé, juste et prudent. Nous allons le voir, en relevant d’après M. Boutaric les principaux actes de ce prince dans les matières financières, judiciaires, administratives.