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Quelle idée faut-il se former de la royauté féodale sous saint Louis ? — car sous Philippe le Bel, ce n’est déjà plus la royauté féodale. Il est intéressant mais difficile de le savoir directement, puisque les documents font trop souvent défaut et qu’on n’a guère l’espérance d’en découvrir d’autres. À côté de la royauté, il serait donc utile de rencontrer un gouvernement analogue afin de reconstituer par comparaison celui de saint Louis et de faire ainsi, selon le mot de M. Boutaric, de l’histoire comparée, comme les naturalistes ont reconstitué des espèces perdues en faisant de l’anatomie comparée. Or, s’il y a pénurie de documents pour l’histoire du domaine royal, il en est de même, plus ou moins, pour l’histoire des grands feudataires, comtes de Flandre, de Champagne, etc… Seul, le gouvernement d’Alfonse, frère de saint Louis, nous a laissé un grand nombre de pièces — quatre mille environ — qui permettent de saisir parfaitement, non-seulement les faits politiques, mais encore les détails de l’organisation financière, judiciaire et administrative de ses États.

La connaissance du gouvernement d’Alfonse offre un intérêt particulier. Possesseur de nombreuses provinces, Poitou, Saintonge, Auvergne, Agenais, Albigeois, Languedoc, Venaissin, Alfonse sut y faire aimer la domination française, en sorte que l’histoire de son gouvernement est l’histoire de l’annexion à la couronne de France des provinces de l’Ouest et du Midi. Comment s’y prit-il pour se faire aimer des peuples, justement froissés par une conquête à main armée ? Il respecta leur autonomie et garda en tout une égale justice ; s’il prit dans sa main, sans les laisser jamais flotter, les rênes de l’administration, s’il fut centralisateur, il sut aussi accepter dans chaque province les institutions existantes, les modifier ou en créer d’autres, dont l’utilité était évidente pour mettre à la raison les seigneurs violents ou les officiers cupides. Assurément la liberté — en prenant ce mot dans son sens général — n’existait pas au moyen âge, mais, comme le dit très-bien M. Boutaric, il y avait des libertés, des droits et des devoirs reconnus et sanctionnés. Saint Louis, mourant, recommandait à son fils la règle qui avait guidé sa conduite : « A justices tenir et à droitures sois loyaux et roide. » Alfonse avait eu et pratiqué la même maxime. Le livre de M. Boutaric nous le prouve abondamment.

Le traité de 1229, qui termina la guerre des Albigeois, ayant donné à la France le Languedoc, qu’Alfonse reçut aussitôt de la reine Blanche, il était naturel de parler de cette guerre, de ses causes, de ses résultats, et avant tout des institutions qui régissaient le pays où cette guerre éclata. La maison de Saint-Gilles semblait devoir prendre au Midi le rôle que la royauté capétienne s’apprêtait à jouer dans le Nord, tant elle était puissante et dominait sur des peuples unis par la même langue et les mêmes intérêts. Toutefois, cette civilisation méridionale, qui de loin jette tant d’éclat, n’était, nous dit M. Boutaric, qu’une vaine apparence ; la puissance des comtes de Toulouse était illusoire. Leur capitale était une république quasi-indépendante ; le système féodal était peu déve-