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présents l’équipèrent à leurs frais en lui donnant un cheval de trente francs, une paire de chaussures dites houzels, un chaperon, une épée. Elle sauta très-habilement sur le cheval, prononça quelques paroles qui achevèrent de convaincre l’assistance, et fut positivement reconnue pour la Pucelle par plusieurs écuyers ou enseignes qui s’étaient trouvés à Reims au sacre du roi Charles. Un ou deux sceptiques voulurent alléguer que l’héroïne avait été brûlée à Rouen : elle leur ferma la bouche par des paraboles. A ceux qui la questionnaient sur ses projets, elle répondait avec adresse, sans dire ni blanc ni noir, « ni fuer ne ans. » Si on la mettait au pied du mur en lui demandant quelqu’une de ces merveilles familières à Jeanne, elle prétendait que sa puissance ne lui serait pas rendue avant la Saint-Jean-Baptiste.

Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Les chevaliers lorrains pouvaient, à la rigueur, n’avoir conservé qu’un souvenir assez vague de l’extérieur de la Pucelle, qui était demeurée complétement inconnue avant son départ du pays et n’y était pas revenue. Mais voici où toute explication devient impossible. Les deux frères d’Arc ou du Lys, Pierre et Petit-Jean, créés depuis peu, l’un chevalier, l’autre écuyer, sont avertis de ce qui se passe, et arrivent le même jour, 20 mai, à la Grange-aux-Ormes. Ils gardaient encore la conviction que Jeanne avait été brûlée. On les confronte avec l’aventurière : aussitôt elle les reconnaît, et ils reconnaissent leur sœur ! Le lendemain, ils l’emmènent avec eux à un village appelé Bacquillon, et elle y reste jusqu’aux fêtes de la Pentecôte, c’est-à-dire environ une semaine.

Là, sans doute, furent combinées des démarches communes dont nous allons voir se dérouler les résultats. Les deux frères étaient-ils dupes ou complices ? Dilemme pénible à poser, et d’ailleurs insoluble.

Hâtons-nous de dire que leur conduite, en d’autres circonstances, répugne à l’idée d’une fourberie, et que la simplicité naturelle à leur condition première devrait plutôt faire admettre une méprise, quelque énorme qu’elle puisse paraître. Mais, dira-t-on, ces détails sont-ils tous authentiques, et faut-il ajouter une foi absolue au récit d’un chroniqueur qui s’est laissé duper tout le premier, pour revenir un peu plus tard sur son opinion ? — Le doyen de Saint-Thibaud de Metz écrivait