Page:Revue des questions historiques, Tome X, 1871.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans les provinces où les paysans étaient libres et pouvaient disposer de leurs biens, les donations faites par les hommes de la campagne aux chevaliers du Temple sont innombrables. Dans les chartes qui relatent ces libéralités, le motif allégué par les donateurs est le salut de leur âme : la cause réelle était le besoin de protection qu’ils ressentaient et qu’ils trouvaient auprès des Templiers qui, à l’influence morale du prêtre, joignaient la puissance de l’homme de guerre. Toutes les classes de la société participaient à ce besoin. Pour le satisfaire, les propriétaires donnaient une partie de leurs biens ; les artisans et les ouvriers, qui ne possédaient que leur personne, s’engageaient et se soumettaient aux Templiers, non qu’ils abdiquassent leur liberté, mais ils devenaient ce qu’on appelait les avoués du Temple. Ils prêtaient serment de fidélité, et payaient chaque année un faible cens de quelques deniers en signe de dépendance. Le mobile de ces actes, un grand nombre de chartes nous le font connaître, c’était pour l’avantage et l’utilité, et afin d’éviter des périls à venir : Pro commodo et utilitate, et ad vitanda futura pericula. Ces périls redoutables étaient les poursuites et les exactions des officiers seigneuriaux et quelquefois même des agents royaux, et ce fut pour s’y soustraire que nombre d’ouvriers s’avouèrent les hommes du Temple[1]. Cette attraction vers le Temple était générale : les hommes des abbayes se plaçaient sous sa protection, et les églises furent obligées de réclamer auprès du roi qui fit défendre aux Templiers de prendre sous leur sauvegarde les hommes des églises.

En 1300, l’ordre du Temple était à l’apogée de la grandeur, mais la chute n’était pas éloignée. On raconte qu’un Templier renfermé pour ses crimes dans une prison royale fit à l’un de ses compagnons de captivité d’étranges révélations sur de graves désordres qui se passaient dans le Temple et que le plus grand mystère avait environnés jusqu’alors. Il s’agissait d’hérésie, d’apostasie et de mœurs dépravées. Le bruit de ces confidences arriva jusqu’au roi, qui fit prendre des informations. Ceci se passait avant le couronnement de Clément V, car il est certain que, lors de cette solennité à Lyon, Philippe le Bel en-

  1. La France sous Philippe le Bel, p. 127. Rien de plus instructif que l’examen des archives du Temple, renfermées dans celles de l’Ordre de Malte.