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860 LE DANGER DES MAUVAISES LECTURES

que le prolongement de l’expérience chez celui qui a beaucoup vécu. »

Soit. Cette expérience, cependant, beaucoup ne la font pas, et ensuite, si elle calme les passions, elle ne les supprime pas. La plupart des hommes ne compriment qu’à grand’peine, lorsqu’ils s’y essaient, leurs mauvais instincts. Si sur ce feu mal éteint un livre hardi jette une étincelle, il se produira souvent une explosion.

De fait, il y a des exemples et de nombreux exemples que l’acquis intellectuel est absolument impropre à conférer l’immunité. L’immoralité de notre époque, en tant qu’elle est due aux lectures, ne sévit pas moins dans les classes dirigeantes, ou possédantes, ou intellectuelles, que dans les autres. La dénatalité cause plus de ravages dans certains milieux dits bourgeois que chez les travailleurs d’usine. Si l’on entend des catholiques, même anciens élèves de collèges chrétiens, soutenir les thèses les plus monstrueuses sur la légitimité du divorce ou le droit de vivre sa vie, la faute en est en grande partie à une littérature aussi malsaine qu’abondante. Si les confesseurs n’avaient la bouche close, que ne diraient-ils sur leur expérience des méfaits que produit, au point de vue des mœurs, même chez des gens cultivés, la lecture de certains livres ?

Le danger, sans doute, n’est pas toujours ressenti aussitôt. Les poisons lents sont les plus funestes. À une heure de dépression morale, telles idées fausses, peu à peu emmagasinées, se condenseront en doutes contre la foi, en révoltes contre l’autorité, en superstitions, en blasphèmes ; en un moment de fatigue nerveuse, des descriptions lascives ou un sentimentalisme amollissant, qui n’avaient pas trop impressionné à l’instant de la lecture, jailliront du subconscient avec violence, prêts à submerger l’âme sous le flot d’une tentation aussi brutale qu’imprévue.

Ah ! la coupable lecture ! On ne saurait s’imaginer les ravages qu’elle cause, explique Henri Lavedan (Mon filleul, pp. 192 et suiv.), « même chez ceux à qui elle n’apprend rien et qui alors se persuadent, les imprudents ! qu’ils n’ont plus à se gêner. »

Même chez ceux à qui elle n’apprend rien : les voilà,