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854 LE DANGER DES MAUVAISES LECTURES

Il y a plus. Même chez un individu donné, le danger varie avec l’intention plus ou moins pure que l’on a, avec les précautions que l’on prend, avec les dispositions du moment, et bien d’autres circonstances.

Il y a autre chose. Il peut intervenir des raisons de lire. On a ri de la formule « raisons proportionnées » que nous employons dans notre classification des romans. On a ri, faute de comprendre qu’il y a des raisons de lire, très graves, sérieuses, futiles, qui peuvent légitimer plus ou moins certaines lectures, malgré le danger réel qu’elles présentent. Un médecin peut lire des livres de médecine, un professeur des classiques, un critique des nouveautés littéraires. à certaines conditions, bien leur en vaudra.

Tous ces éléments de relativité[1], la Revue des lectures ne les ignore pas. Elle en tient compte, au contraire, et plus que d’autres, on le sait bien.

Mais ce danger est réel,
non seulement pour les « primaires »,
mais pour les adultes, les adultes cultivés
et pour les écrivains

Venons au fond de la question. Prétendre que les « adultes » liront impunément n’importe quoi, que les ouvrages les plus « hardis » ne nuiront ni à leur foi ni à leurs mœurs, ne fausseront aucun de leurs jugements, les laisseront complètement soumis aux autorités légitimes, c’est pratiquement méconnaître le péché originel, c’est penser avec Rousseau que la nature humaine, au moins « adulte », n’a que de bonnes tendances, c’est oublier les basses complicités que l’erreur et le vice rencontrent dans le cœur des enfants d’Adam ; c’est méconnaître le pouvoir magique de la lettre moulée ; c’est, selon le mot de M. Herriot dans le discours qu’il prononçait en l’honneur de Jules Ferry, le 24 juin 1927,

  1. Cette relativité n’autorise pas un écrivain catholique à publier un livre qui soit de nature à nuire à la plupart de ses lecteurs, sous prétexte qu’il sera inoffensif pour un petit nombre à qui il procurera un plaisir d’ordre esthétique. Les âmes immortelles, rachetées par le Christ, même les âmes de « primaires » sont d’un trop grand prix pour que les mandarins de lettres puissent se permettre ces jeux de prince.