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LE PROCÈS DES FLEURS DU MAL.

Rosette. Laissez-moi !

Moi. Pardieu non !

Rosette (se débattant). Oh ! vous me lâcherez !

Moi. J’ose, madame, vous assurer le contraire.

Rosette (voyant qu’elle n’est pas la plus forte). Eh bien, je reste, vous me serrez le bras d’une force !… Que voulez-vous de moi ?

Moi. Je pense que vous le savez. — Je ne me permettrais pas de dire ce que je me permets de faire ; je respecte trop la décence.

Rosette (déjà dans l’impossibilité de se défendre). àcondition que tu m’aimeras beaucoup… je me rends.

Moi. Il est un peu tard pour capituler, lorsque l’ennemi est déjà dans la place.

Rosette (me jetant les bras autour du cou, à moitié pâmée). Sans condition… je m’en remets à ta générosité…

Je passe à la conclusion du roman : Madeleine de Maupin a épuisé, comme elle le dit, toutes ses cruautés ; elle vient elle-même trouver d’Albert et se remettre entre ses mains :

C’était bien Rosalinde, si belle et si radieuse qu’elle éclairait toute la chambre, avec ses cordons de perles dans les cheveux, sa robe prismatique, ses grands sabots de dentelles, ses souliers à talons rouges, son bel éventail de plumes de paon, telle enfin qu’elle était le jour de la représentation. Seulement, différence importante et décisive, elle n’avait ni gorgerette, ni guimpe, ni fraise, ni quoi que ce soit qui dérobât aux yeux ces deux charmants frères ennemis, — qui, hélas ! ne tendent trop souvent qu’à se réconcilier.

Une gorge entièrement nue, blanche, transparente comme un marbre antique, de la coupe la plus pure et la plus exquise, saillait hardiment hors d’un corsage très échancré et semblait porter des défis aux baisers…

Pourquoi, ma chère souveraine, avez — vous l’air chaste et sérieuse d’une Diane antique, là où il faudrait plutôt les lèvres souriantes de Vénus sortant de la mer ?

Voyez-vous, d’Albert, c’est que je ressemble plus à Diane chasseresse qu’à toute autre chose. — J’ai pris fort jeune cet habit d’homme… En un mot, quoique ce soit une chose incroyable et ridicule, je suis vierge — vierge comme la neige de l’Himalaya, comme la lune avant qu’elle n’eût couché avec Endymion, comme Marie avant d’avoir fait connaissance avec le pigeon divin ; et je suis grave ainsi que toute personne qui va faire une chose sur laquelle on ne peut revenir. — C’est une métamorphose, une transformation que je vais subir…

D’Albert, singulièrement ému, lui prit les mains et en baisa tous les doigts, les uns après les autres, puis rompit fort délicatement le lacet de la robe, en sorte que le corsage s’ouvrit et que les deux blancs trésors apparurent dans toute leur splendeur. Sur cette gorge étincelante et claire comme l’argent s’épanouissaient les deux belles roses du paradis. Il en serra légèrement les pointes vermeilles dans sa bouche et en parcourut ainsi tout le contour ; Rosalinde se laissait faire avec une complaisance inépuisable… L’étreignant dans ses bras, il couvrait de baisers ses épaules et sa poitrine nues. Les cheveux de l’infante à demi pâmée se dénouerent, et sa robe tomba sur ses pieds comme par enchantement. Elle demeura tout debout comme une blanche apparition avec une simple chemise de la toile la plus tranparente… La chemise douée d’un heureux esprit d’imitation ne resta pas en arrière de la robe ; elle glissa d’abord des épaules sans qu’on songeât à la retenir ; puis, profitant d’un moment où les bras étaient perpendiculaires, elle en sortit avec beaucoup d’adresse et roula jusqu’aux hanches dont le contour ondoyant l’arrêta à demi. — Rosalinde s’aperçut alors de la perfidie de son dernier vêtement, et leva un peu le genou pour l’empêcher de tomber tout à fait. —