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LE PROCÈS DES FLEURS DU MAL.

Maman, Lindor savait donc plaire ?
— Oui, seul il me plut quatre mois ;
Mais bientôt j’estimai Valère
Et fis deux heureux à la fois.

Quoi ! maman, deux amants ensemble ?
— Oui, mais chacun d’eux me trompa ;
Plus fine alors qu’il ne vous semble
J’épousai votre grand-papa.

Maman, que lui dit la famille ?
— Rien, mais un mari plus sensé
Eût pu connaitre à la coquille
Que l’euf était déjà cassé.

Bien tard, maman, vous fûtes veuve ?
— Oui, mais grâce à ma gaieté,
Si l’église n’était pas neuve
Le saint n’en fut pas moins fêté.

Comme vous, maman, faut-il faire ?
— Et mes petits-enfants, pourquoi,
Quand j’ai fait comme ma grand mère,
Ne feriez-vous pas comme moi ?


Si c’est là ce que la grand’mère appelle du temps perdu, je me demande ce que serait du temps bien employé : elle ne parle pas de remords… soit ; mais il me semble qu’il ne devrait pas être question de regrets…

Et cette autre amoureuse de Béranger, Jeannette, elle me paraît n’avoir jamais pensé, celle-là, ni à des remords ni à des regrets :


Fi des coquettes maniérées,
Fi des bégueules du grand ton ;
Je préfère à ces mijaurées
Ma Jeannette, ma Jeanneton.

Jeune, gentille et bien faite,
Elle est fraiche et rondelette,
Son œil noir est pétillant.
Prudes, vous dites sans cesse
Qu’elle a le sein trop saillant :
C’est pour ma main qui le presse
Un défaut bien attrayant.

La nuit, tout me favorise,
Point de voile qui me nuise,
Point d’inutiles soupirs ;
Des deux mains et de la bouche
Elle attise les désirs,
Et rompit vingt fois sa couche
Dans l’ardeur de nos plaisirs…


Voilà ce qu’a écrit Béranger, et bien d’autres choses encore, n’est-il pas vrai ? Voilà ce qui se réimprime sans cesse, et vous n’avez jamais songé à poursuivre, et vous ne pourriez le faire sans courir à un échec certain.

Et Gauthier, cet admirable ciseleur de style et ce peintre merveilleux !… laissez-moi vous en parler ; laissez-moi vous parler de ce chef-d’œuvre de style qui s’appelle Madeleine de Maupin : c’est peut-être le roman le plus osé, si cela peut s’appeler un roman, qui ait été publié depuis longtemps… à quelle page l’ouvrirai-je ? je n’ai que l’embarras du choix…


(La scène représente le lit de Rosette ; un rayon de soleil plonge à travers les rideaux : il est dix heures… la chemise de Rosette a un tour de gorge de malines toute déchirée ; la nuit a été orageuse ; ses cheveux s’échappent confusément de son petit bonnet ; elle est aussi jolie que peut l’être une femme que l’on n’aime point et avec qui l’on est couché).


Une querelle s’engage entre les deux amants, et voici comment le dialogue se termine :