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LE PROCÈS DES FLEURS DU MAL.

Quoi ! tout nu ! dira-t-on, n’avait-il pas de honte ?
Nu ! dès le second mot ! — Que sera-ce à la fin ?
Monsieur, excusez-moi ; — je commence ce conte
Juste quand mon héros vient de sortir du bain.
Je demande pour lui l’indulgence, et j’y compte.
Hassan était donc nu ; — mais nu comme la main,

Nu comme un plat d’argent, nu comme un mur d’église.
Nu comme le discours d’un académicien,
Ma lectrice rougit, et je la scandalise.
Mais comment se fait-il, madame, que l’on dise
Que vous avez la jambe et la poitrine bien ?
Comment le dirait-on, si l’on n’en savait rien ?

Madame alléguera qu’elle monte en berline,
Qu’elle a passé les ponts lorsqu’il faisait du vent ;
Que, lorsqu’on voit le pied, la jambe se devine ;
Et tout le monde sait qu’elle a le pied charmant.
Mais moi, qui ne suis pas du monde, j’imagine
Qu’elle aura trop aimé quelqu’indiscret amant.

Et quel crime est-ce donc de se mettre à son aise,
Quand on est tendrement aimée, et qu’il fait chaud ?
On est si bien tout nu, dans une large chaise !
Croyez-m’en, belle dame, et, ne vous en déplaise,
Si vous m’apparteniez, vous y seriez bientôt.
Vous en cririez sans doute un peu, — mais pas bien haut !

Tout est nu sur la terre, hormis l’hypocrisie ;
Tout est nu dans les cieux, tout est nu dans la vie,
Les tombeaux, les enfants et les divinités.
Tous les cœurs vraiment beaux laissent voir leurs beautés.
Ainsi donc le héros de cette comédie,
Restera nu, madame, — et vous y consentez.


Que de beaux vers de Musset je pourrais vous citer surtout dans Rolla, ou dans Portia… et qu’il faudrait supprimer, si c’était là de l’outrage à la morale publique…

Mais que dire aussi du poète populaire, de Béranger, dont Perrotin a publié il y a peu de temps une nouvelle et si magnifique édition ? faudra-t-il aussi expurger Béranger, faudra-t-il retrancher tant de pièces charmantes ? faudra-t-il supprimer et les Deux Sœurs de charité, et la Cantharide, et Jeannette, et la Grand’mère, et le Chapeau de la Mariée ? Non, n’est-il pas vrai ? et personne ne le voudrait. Et pourtant, la Grand’mère, vous savez bien ce qu’elle dit le soir de sa fète, de vin pur ayant bu deux doigts :


Combien je regrette

Mon bras si dodu,
Ma jambe bien faite

Et le temps perdu

Quoi, maman, vous n’étiez pas sage !

Non vraiment ; et de mes appas
Seule, à quinze ans, j’appris l’usage,
Car, la nuit, je ne dormais pas.

Maman, vous aviez le cœur tendre ?
— Oui, si tendre qu’à dix-sept ans
Lindor ne se fit pas attendre

Et qu’il n’attendit pas longtemps.