Sarah Bernhardt) et de Sylvia (Agar) avec l’enthousiasme facile et contagieux de la vingtième année. Ce qui séduisit dans ce petit acte et qui séduit encore, c’est, outre la maîtrise déjà parfaite des vers, la poésie du cadre, le pittoresque des deux figures foncièrement voluptueuses et sensuelles, et l’aventure, contrairement à toute attente, tournant en moralité. À la chute du rideau, ce fut une ovation ; on se regardait, les yeux humides, on souriait, on se serrait les mains dans un délire de joie frénétique. Coppée, de ce jour, grandissait de cent piques sur nous, sans qu’un soupçon d’ombrage en vînt à personne, chacun se disant in petto : « C’est son tour aujourd’hui, ce sera demain le nôtre. » Hélas !
La presse fut à peu près unanime à saluer ce grand succès. Il n’y eut qu’une voix discordante, un critique peu bienveillant qu’en dépit de la conclusion édifiante le fond du sujet avait dû choquer, et dont le nom étonnera peut-être aujourd’hui. Mais Barbey d’Aurevilly pouvait-il prévoir que, quelque vingt ans plus tard, ils marcheraient tous deux, Coppée et lui, dans la même voie fraternelle, enrôlés à la défense de toutes les nobles causes et de la cause catholique en particulier ? Il était hostile, alors, à la jeune école parnassienne qui dérangeait ce vieux rimeur dans la tranquille possession de ses procédés prosodiques. Il se moqua agréablement de Zanetto déjeunant, au cours de ses vagabondages, de noisettes cueillies dans les bois, il fut cruel pour la future « grande Sarah », si exquise en son joli travesti.
On veut absolument qu’en sa jeunesse, avec sa face maigre, le visage rasé, le teint olivâtre, et les longues mèches brunes et plates battant sur l’oreille, Coppée ait offert le masque frappant de Bonaparte sous-lieutenant d’artillerie à Valence. Je n’ai jamais vu Coppée ainsi. Non, il n’avait rien du César moderne ; mais tel que je le vois, que je l’ai connu et toujours aimé, il me semble représenter excellemment le vrai Parisien de sa condition. Il en avait l’esprit, la saillie, le trait espiègle et moqueur sans fond de méchanceté, les façons familières et bon garçon, et la vive allure, toujours pressé, l’air d’être en retard pour l’heure du bureau, marchant la tête basse, les épaules effacées comme par l’habitude de se glisser dans la foule, de fendre le flot populaire.
Nous revenions un soir de chez Lemerre. Je lui dis :