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phrase en panache qui, à la fin de chaque strophe, fouette et ravive l’attention, ce qui ne l’empêchait pas de noter quelques extravagances où la rime avait entraîné le poète : ::Le poisson qui guérit l’œil mort du vieux Tobie ::Se joue au fond du golfe où dort Fontarabie.

Et, dans je ne sais quelle pièce, une longue énumération de dieux bizarres et inconnus. Comme on demandait à Hugo s’il n’en avait pas inventé quelques-uns : « À peine un ou deux ! » avait-il répondu, au dire de Leconte de Lisle qui, étant la précision et la probité même, n’admettait pas de telles licences, et toutefois en souriait.

Il était plus sévère pour Lamartine. Il avait une telle horreur de la poésie élégiaque, du lyrisme effronté de ceux qui chantent leur « Elvire », leur maîtresse, qui étalent en public les coins les plus secrets et réservés du cœur, que cela allait jusqu’à la colère et au dégoût. Et pourtant, quand on y songe, ne devait-il rien lui-même à ces sentimentalités ? Ses plus belles pièces, et qu’on lira toujours avec une admiration émue, ne sont-ce pas celles où, comme dans l’Illusion suprême, flotte l’image d’une créature aimée ? Mais il ne faut demander à personne d’être absolument logique et conséquent, et, chez un artiste, ces contradictions s’expliquent trop : il a fait de l’art, des règles de son art, le tout de sa vie ; ce qu’il trouve de contraire, même dans les plus belles œuvres, l’offense comme un démenti, et, incapable d’être critique impartial et équitable des autres, il est naturellement injuste. Leconte de Lisle avait pour plusieurs, — pour Lamartine en particulier, — de ces pardonnables injustices.

Il détestait chez celui-ci, avec son dandysme et ses affectations de gentilhomme des lettres, cette phraséologie lâche, ce perpétuel délayage des idées et des sentiments, cet intarissable flux où le bon, le médiocre, tout coule sans arrêt. Il notait les négligences, les erreurs, les répétitions. Par exemple dans le début de la pièce Bonaparte, des Nouvelles Méditations. ::Sur un écueil battu par la vague plaintive, ::Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive ::Un cercueil près du bord par le flot déposé ; ::