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entendu, Villiers de l’Isle-Adam, Léon Dierx. Mendès, jamais seul, avec cette allure de chef de la cohorte sacrée que, dès la première heure, il aima à se donner, arrivait suivi d’une nombreuse phalange dont les membres peu à peu s’écartèrent du rang pour le distancer et le laisser en route. Sully-Prudhomme, Jean Aicard, Georges Lafenestre, André Theuriet, André Lemoyne durent traverser ce salon. On voyait, dévôt au maître, le jeune Anatole France, bien avant la grande brouille qui, à propos de ses articles sur le symbolisme, les devait diviser et qui manqua tourner en duel. Paul Verlaine y vint aussi quand il était encore présentable et n’avait pas, comme plus tard, roulé dans la pire bohème ; et Paul Arène, Armand Silvestre, Émile Bergerat, Xavier de Ricard, Albert Mérat et, — son frère d’armes, — le doux Léon Valade, et d’autres, bien d’autres que j’oublie. Enfin apparaissait par moments l’éditeur Lemerre, une inquiétude au fond des yeux, l’aléa de l’entreprise commerciale ; mais sur son front têtu, dans sa forte mâchoire, toute la volonté et la ténacité des prédestinés au succès. Il venait surveiller ses couvées de jeunes poètes.

On peut dire que là on causait vraiment de littérature, et non pas de ce que très improprement on appelle ainsi le plus souvent ; c’est-à-dire qu’à propos d’un livre on ne s’occupait ni du nombre d’éditions, ni de bonne ou mauvaise presse.

Il n’y avait pas grande divergence, tous ou à peu près se ralliant à la foi du maître et presque tous ayant le même ensemble de principes et de théories qui, à chaque période de la mode et du goût, flottent dans l’air ambiant et finissent par se condenser en doctrines et par former un programme. Mais, mieux encore, quand il s’agissait des poètes de la génération précédente dont la gloire, par suite de l’engouement public, persistait et peut-être gênait, tout le monde abondait dans le sens du maître et faisait chorus aux manifestations de ses haines et réprobations littéraires.

Il en avait de terribles. Il faut mettre Victor Hugo à part, dont il acceptait la suzeraineté. Là-bas, tout jeune, dans son île, le même coup de soleil l’avait frappé, dont nous avions tous longtemps déliré. Il reconnaissait lui devoir la révélation du génie lyrique de la langue, admirait la nouveauté de ces sortes de coups de fouet, de ces superbes redressements de la