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devenu très faible. C’est dans celui-ci qu’il encastrait, ce monocle qu’on lui a si souvent reproché comme un signe d’impertinente élégance et qui lui était nécessaire pour suivre sur l’auditeur l’effet du trait lancé.

Ce n’est pas sans tremblement ni sans palpitation de cœur que j’entrais là : une enfance un peu sauvage au fond d’une propriété rurale, quelques années dans un lycée de province, d’autres à Paris, dans un cercle restreint d’étudiants, ne m’avaient guère doué des souplesses et de ce ton dégagé qu’on acquiert dans le monde. Et je savais l’homme redoutable, habile à saisir le ridicule, et volontiers railleur.

Ces craintes étaient exagérées. Rien de moins solennel et gourmé que son abord, rien qui ressemblât moins à l’homme impassible qu’on se fût imaginé d’après son œuvre, et rien qui trahît le sentiment d’un orgueil qui eût été légitime à l’heure où sa gloire allait poindre et dont nos juvéniles enthousiasmes annonçaient l’aurore en venant forcer sa retraite ; car il vivait assez isolé et dans un recueillement méditatif. Sa première enfance, à lui aussi, avait été assez sauvage, enfermé en soi-même, dans cette île lointaine de Bourbon où il était né ; elle lui avait donné le goût des rêveries et des pensées amoureusement caressées dans le silence et le secret. Mais, en dépit de cette réserve et des timidités qu’il tenait de son origine, c’était un passionné et un tendre ; il aimait à être aimé, et cette amitié, il la rendait bien à ceux qui la lui témoignaient. Il n’était pas nécessaire d’entrer bien avant dans son intimité pour trouver l’homme familier, vraiment bon et même bonhomme.

S’il raillait, c’est que les railleries ne lui avaient pas été épargnées. Ses traductions de l’Iliade et de l’Odyssée, ses Zeus, ses Moires, son Ephaistos, quand il était si facile d’écrire Jupiter, les Furies et Vulcain, fournissaient une inépuisable mine de plaisanteries, et l’on avait tout dit en l’appelant pasteur d’éléphants. Nous commencions à le venger par la chaude admiration dont nous l’entourions et qui lui donnait conscience d’occuper enfin la place qu’à ce moment de la poésie il méritait, — la première.

Qui voyait-on là ?

Les plus assidus étaient certainement François Coppée et Heredia, Jean Marras dont j’ai parlé, — que doublait, bien