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de votre galanterie… » Et Villiers de continuer imperturbable. Enfin, l’un se lassa, l’autre quitta le tabouret.

— Vous n’avez pas été gentil pour Claretie, lui dis-je. Prenez garde ! C’est une puissance.

— Ah ! c’est Claretie, dit-il en riant, je ne le connaissais pas… Bon cela ! je ne suis pas fâché…

Je ne sais quel grief il pouvait avoir contre le futur administrateur de la Comédie-Française.

Un instant après, tandis que nous causions tous deux à l’écart, je m’inclinai vers sa boutonnière. Mon regard venait d’être attiré par une petite faveur de satin noir qui discrètement se fondait avec le noir de l’habit.

— Qu’est cela ? demandai-je.

— L’ordre de Malte.

— Ah ! Et qui vous l’a procuré ?

Il répondit gravement :

— Je n’avais pas à me le procurer. C’est moi, cher ami, qui le concède et qui en distribue le titre et les insignes.

Je n’eus pas la présence d’esprit de lui demander d’être admis dans l’antique et auguste chevalerie. Les pouvoirs et privilèges dont il se targuait n’étaient peut-être pas aussi vrais qu’il disait, car l’ordre de Malte, — sinon officiellement, puisqu’il fut aboli par Napoléon, du moins à titre d’association privée, — existe encore et a, croyons-nous, son siège à Rome, et jamais notre ami Villiers de l’Isle-Adam, que nous sachions, n’en put être grand-maître.

Et, toujours à propos de décorations, Leconte de Lisle contait volontiers cette anecdote. Villiers l’avait prié de le présenter à un puissant personnage, et ils avaient pris jour à cet effet. Il fut exact au rendez-vous et, en entrant, cornme son pardessus s’entr’ouvrait, le poète aperçut une poitrine constellée du haut en bas de toute sorte de plaques et de croix, toute une orfèvrerie scintillante des mille feux de l’aurore. Leconte de Lisle, homme simple, fut ébloui, mais un peu gêné ; cela ne lui paraissait pas sérieux. Il pria Villiers de déposer cette profusion de décorations dans une armoire où il les reprendrait au retour de la visite. À quoi Villiers de l’Isle-Adam se prêta de bonne grâce.

À part ces légers travers, c’était l’homme le plus aimable, bon enfant et souriant à tous, n’enviant et ne dénigrant