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— C’est parfait ! Ça me convient. Nous mettrons le volume à 20 francs, et nous ferons une bonne affaire ;

Une bonne affaire ?… Il s’agissait bien de cela !

— À vingt francs, dis-je, nous n’aurons guère d’acheteurs.

— Qu’importe, s’ils paient cher !

Il m’importait beaucoup. J’aurais voulu donner mon livre pour rien afin d’avoir plus de lecteurs. Et, sans rien conclure, je m’en allai un peu déconcerté.

En longeant les Boulevards, j’avisai derrière une vitrine les premières poésies de Sully-Prudhomme qui venaient de paraître chez Achille Faure dont la librairie toute nouvelle était établie près de la porte Saint-Martin. Mon petit paquet à la main, je m’y rendis.

Achille Faure était un homme jeune encore, vif et intelligent. Il lut quelques vers, les goûta, fit même une observation assez juste sur un mot « bruire » que je ne comptais que pour deux pieds. Finalement, nous nous entendîmes. Le brave garçon était trop artiste, trop lettré, et ce fut la cause de sa ruine sans doute. Il avait mis là quelque cent mille francs qui ne firent qu’une flambée.

Six mois après, le gros ballot de mes Donaniel[1] me revenait, qui de chez moi ne fit qu’un saut chez Lemerre, lequel, depuis, a publié la plupart de mes autres œuvres, poésies, romans, théâtre, histoire… Un certain nombre me restèrent, que je distribuai à tout venant.

Cependant quelques exemplaires étaient à la reliure, destinés à de grands noms : Hugo, Sand, Théophile Gautier, Jules Sandeau, Sainte-Beuve, etc.

Gautier habitait, dans une large avenue, dans les parages d’Auteuil, une gentille maisonnette prolongée d’un jardin. Dans le salon où j’attendais, un peu ému, je le vis surgir avec ses deux filles, Judith, plus tard Mme Mendès, et la seconde, plus tard Mme Bergerat. Il partait pour une matinée dramatique au moment où j’arrivais, et sa jolie escorte n’était pas pour rassurer mes timidités.

Théo (comme l’appelaient ses amis dans l’intimité) était l’un des plus illustres représentants encore vivants de l’école romantique. Je ne fus pas déçu en le voyant sans ce fameux

  1. [Note RDM]. Paru sous le pseudonyme de Léon Grandet.