Page:Revue des colonies, année 3, numéro 9, 1837.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’eau… un peu d’eau… mon sang me brûle… mon cœur se crispe, oh ! de l’eau, de l’eau…

Alfred faisait des efforts inouïs pour la secourir ; mais Georges le retenait de son poignet de fer, et ricanant comme un damné, il lui criait : non pas, maître… non pas… je veux que cette femme meure… là… à tes yeux… devant toi… comprends-tu, maître, devant toi, te disant de l’eau, de l’air, sans que tu puisses la secourir.

— Ô malheur… malheur à toi, hurlait Alfred en se débattant comme un forcené.

— Tu auras beau maudire, blasphémer, répondit le mulâtre, il faut que cela soit ainsi.

— Alfred, murmura de nouveau la mourante, adieu… adieu… je meurs…

— Regarde, reprit le mulâtre toujours en ricanant… regarde… elle râle… eh bien ! une seule goutte de cette eau la ramènerait à la vie. Il lui montrait un petit flacon.

— Toute ma fortune pour cette goutte d’eau… cria Alfred.

— Es-tu fou, maître…

— Ah ! cette eau… cette eau… ne vois-tu pas qu’elle se meurt… Donnez… donnez donc…

— Tiens… et le mulâtre brisa le flacon contre le mur.

— Soyez maudit, hurla Alfred, en saisissant Georges par le cou… oh ! ma vie entière, mon âme pour un poignard…

Georges se débarrassa des mains d’Alfred.

— Maintenant qu’elle est morte, à ton tour, maître, dit-il en levant sa hache. Frappe, bourreau… frappe… après l’avoir empoisonnée, tu peux bien tuer ton pè…  La hache s’abaissa, et la tête d’Alfred roula sur le plancher, mais la tête en roulant murmura distinctement la dernière syllabe re… Georges croyait avoir mal entendu, mais le mot père. comme le glas funèbre, tintait à son oreille ; or pour s’en assurer, il ouvrit le sac fatal… ah ! s’écria-t-il, je suis maudit… une détonation se fit entendre ; le lendemain on trouva près du cadavre d’Alfred celui du malheureux Georges.

Victor Séjour.