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— Pour revoir ton fils, n’est-ce pas ?

— Oh ! par pitié…

— Il vaudrait mieux prier le tigre affamé de lâcher sa proie.

— Au nom de Dieu, Georges.

— Je n’y crois plus.

— Au nom de votre père…

À ce mot la colère de Georges tomba.

— Mon père… mon père, dit le mulâtre la larme à l’œil, vous le connaissez… oh ! dites-moi son nom… comment s’appelle-t-il… oh ! dites, dites-moi son nom… je vous bénirai… je vous pardonnerai.

Et le mulâtre était prêt à se mettre à genoux devant son maître. Mais tout à coup des cris aigus se font entendre…

— Juste ciel… c’est la voix de ma femme, s’écria Alfred en s’élançant du côté d’où partaient les cris…

Comme rappelé à lui-même, le mulâtre se souvint qu’il était venu chez son maître, non pour savoir le nom de son père, mais pour lui demander compte du sang de sa femme. Retenant aussitôt Alfred, il lui dit avec un ricanement horrible :

— Arrête, maître, ce n’est rien.

— Jésus-Maria, tu n’entends pas qu’elle demande du secours.

— Ce n’est rien, te dis-je.

— Lâchez-moi… lâchez-moi… c’est la voix de ma femme.

— Non… c’est le râle d’une mourante.

— Misérable, tu mens.

— Je l’ai empoisonnée.

— Oh !…

— Entends-tu ces plaintes… ce sont les siennes.


— Enfer…

— Entends-tu ces cris… ce sont les siens…

— Malédiction…

Et pendant tout ce temps, Alfred s’efforçait d’échapper des mains du mulâtre ; mais celui-ci l’étreignait de plus en plus ; car lui aussi sa tête s’exaltait, son cœur bondissait ; il se faisait à son terrible rôle.

— Alfred… au secours… de l’eau… je m’étouffe… cria une femme en s’élançant au milieu de la chambre. Elle était pâle et défaite, ses yeux sortaient de sa tête, ses cheveux étaient en désordre.

— Alfred, Alfred… au nom du ciel, secourez-moi… un peu