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— Que me voulez-vous, accentua Alfred d’une voix tremblante.

— Te complimenter de la naissance de ton fils, répondit une voix qui semblait sortir de la tombe.

Alfred frissonna du pied à la tête, ses cheveux se hérissèrent, et une sueur froide inonda ses membres.

— Je ne vous connais pas, murmura faiblement Alfred…

— Je m’appelle Georges.

— Vous…

— Tu me croyais mort n’est-ce pas, dit le mulâtre avec un rire convulsif.

— Au secours… au secours, cria Alfred…


— Qui te secourra, reprit le mulâtre… n’as-tu pas renvoyé tes domestiques, fermé toutes tes portes, pour être plus seul avec ta femme… tu vois donc que tes cris sont inutiles… ainsi recommande ton âme à Dieu.

Alfred s’était peu à peu relevé de sa chaise, mais à cette dernière parole, il y retomba pâle et tremblant.

— Oh ! pitié , Georges… ne me tuez pas aujourd’hui.

Georges haussa les épaules. — Maître, n’est-ce pas que c’est horrible de mourir quand on est heureux ; de se coucher dans la tombe au moment où l’on voit ses rêves les plus chers se réaliser… oh ! n’est-ce pas que c’est affreux, dit le mulâtre avec un rire infernal…

— Grâce, Georges…

— Cependant, reprit-il, telle est ta destinée… tu mourras aujourd’hui, à cette heure, dans une minute, sans dire à ta femme un dernier adieu…

— Pitié… pitié…

— Sans embrasser une seconde fois ton fils qui vient de naître…

— Oh ! grâce… grâce.

— Je crois ma vengeance digne de la tienne… j’aurais vendu mon âme à Satan, s’il m’avait promis cet instant.

— Oh ! grâce… miséricorde, dit Alfred en se jetant aux genoux du mulâtre.

Georges haussa les épaules, et leva sa hache.

— Oh !… une heure encore de vie !

— Pour embrasser ta femme n’est-ce pas ?

— Une minute…