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elle eut bien pleuré, elle se rendit près de son mari. — Celui-ci rêvait sans doute d’elle ; car il avait le sourire sur les lèvres.

— Georges… Georges… s’écria-t-elle avec angoisse.

Le mulâtre ouvrit les yeux ; le premier besoin qu’il sentit fut de sourire à sa bien aimée. Zélie lui conta ce qui vient de se passer. Il ne voulut rien y croire ; mais bientôt il fut convaincu de son malheur ; car des hommes entrèrent dans sa cabane et garrottèrent sa femme qui pleurait… Georges fit un effort pour se lever ; mais trop faible encore, il retomba sur la couche, les yeux hagards, les mains crispées, la bouche haletante.

IV.

Dix jours après deux petits créoles blancs jouaient au milieu de la rue.

— Charles, disait l’un d’eux : on dit que cette mulâtresse qui voulait tuer son maître sera pendue demain ?

— À huit heures, répondit l’autre.

— Iras-tu ?

— Sans doute.

— Ce sera gentil de la voir pirouetter entre ciel et terre reprit le premier, et ils s’éloignèrent en riant.

Cela vous étonne d’entendre deux enfants de dix ans s’entretenir si gaiement de la mort d’autrui ; c’est une conséquence peut-être fatale de leur éducation. Dès leur bas-âge on leur répète que nous sommes nés pour les servir, créés pour leurs caprices, et qu’ils ne doivent nous considérer ni plus ni moins qu’un chien… Or que leur importent notre agonie, et nos souffrances ? ne voient-ils pas souvent mourir leurs meilleurs chevaux ? Ils ne les pleurent pas, car ils sont riches, demain ils en achèteront d’autres… Pendant que ces deux enfants parlaient, Georges était aux genoux de son maître.

— Maître, grâce… grâce… s’écria-t-il en pleurant… ayez pitié d’elle… maître, sauvez-la… Oh ! oui sauvez-la, car vous le pouvez… oh ! parlez… vous n’avez qu’un mot à dire… un seul… et elle vivra. Alfred ne répondit pas.

— Oh ! par pitié… maître… par pitié dites-moi que vous lui pardonnez… oh ! parlez… répondez-moi, maître… n’est-ce pas