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— Rien… un malaise…

— Ne craignez rien, maître, avant d’arriver à vous, ils me marcheront sur le corps, dit l’esclave d’un air calme et résigné.

Cet air calme, ce noble dévouement étaient susceptibles de rassurer le mortel le plus lâche. Cependant, à ces dernières paroles, Alfred trembla davantage ; car une horrible idée l’accablait : il se figurait que le généreux Georges était le complice de ses assassins. Tels sont les tyrans ; ils croient le reste des hommes incapables d’un sentiment élevé, d’un dévouement sans bornes ; car leurs âmes sont étroites et perfides… C’est une terre inculte, où ne croissent que la ronce et le lierre. La porte trembla violemment… Cette fois, Alfred ne put maîtriser sa lâcheté, il venait de voir sourire le mulâtre ; était-ce de joie ou de colère ? Il ne se fit pas cette question.

— Misérable ! s’écria-t-il, en s’élançant dans une pièce voisine ; tu voulais me faire assassiner ; mais ton attente sera trompée, et il disparut… Georges se mordait les lèvres de rage ; mais il ne put faire aucune réflexion, car la porte s’ouvrit tout à coup, et quatre hommes se dressèrent sur le seuil. Aussi prompt que l’éclair, le mulâtre arma ses pistolets, et s’accola contre le mur, en criant d’une voix de stentor :

— Infâmes ! que voulez-vous ?

— Nous voulons te parler en face, répondit l’un d’eux, en tirant Georges à bout portant.

— Bien tiré, murmura convulsivement celui-ci.

La balle lui avait fracassé le bras gauche. Il lâcha son coup. Le brigand tourna trois fois sur lui-même et tomba raide mort. Un second le suivit de près. Alors, comme un lion furieux harcelé par des chasseurs, Georges, la hache au poing et le poignard entre les dents, se précipite sur ses adversaires… Une lutte affreuse s’engage… Les combattants se pressent… se heurtent… s’entrelacent… La hache brille… le sang coule… le poignard, fidèle à la main qui le pousse, laboure la poitrine de l’ennemi… Mais pas un cri… pas un mot… pas un souffle ne s’échappe de ces trois bouches d’hommes qui se ruent entre des cadavres comme au sein d’une enivrante orgie… À les voir ainsi, pâles et sanglants, muets et désespérés, on se figure trois fantômes qui se heurtent et s’entre-déchirent au fond d’un tombeau…