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— Tais-toi… tais-toi, Georges… les murs ont des oreilles, et les broussailles savent parler, murmurait la pauvre mère en tremblant…

Quelques années après, cette malheureuse mourut, laissant pour tout héritage à Georges, son fils unique, un petit sac en peau de daim, dans lequel se trouvait le portrait de son père ; mais à la seule promesse de ne l’ouvrir qu’à sa vingt-cinquième année. Puis elle l’embrassa, et sa tête retomba sur l’oreiller… elle était morte… Le cri de douleur que jeta l’orphelin attira les autres esclaves… Ils se mirent à pleurer, à frapper leur poitrine, à arracher leurs cheveux de désespoir. Après ces premières marques de douleur, ils lavèrent le corps de la défunte, et l’exposèrent sur une espèce de table longue, soutenue par les tréteaux. La morte est couchée sur le dos, le visage tourné vers l’Orient, vêtue de ses meilleurs habits, et les mains croisées sur sa poitrine. À ses pieds se trouve une petite coupe pleine d’eau bénite, sur laquelle surnage une branche de jasmin ; enfin, aux quatre coins de la couche mortuaire, s’élèvent des flambeaux… Chacun, après avoir béni les restes de la défunte, s’agenouille et prie car la plupart des races nègres, malgré leur fétichisme, croient profondément à l’existence de Dieu. Cette première cérémonie terminée, une autre non moins singulière commence… ce sont des cris, des pleurs, des chants ; puis des danses funèbres !…

III.

Georges avait toutes les dispositions nécessaires à devenir un très honnête homme ; mais c’était une de ces volontés hautaines et tenaces, une de ces organisations orientales qui, poussées loin du chemin de la vertu, marchent sans s’effrayer dans la route du crime. Il aurait donné dix ans de sa vie pour connaître le nom de son père ; mais il n’osait violer la promesse solennelle faite à sa mère mourante. Comme si la nature le poussait vers Alfred ; il l’aimait, autant que l’on puisse aimer un homme : tandis que celui-ci l’estimait, mais de cette estime que l’écuyer porte au plus beau et au plus vigoureux de ses coursiers. À cette époque, une horde de brigands portaient la désolation dans ces lieux ; déjà plus d’un colon avait été leur victime. Une nuit, je ne sais par quel hasard, Georges