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— Pourquoi, continua le conducteur avec angoisse ; mais le vieux Chambo est mon père, et…


— Mon Dieu, s’écria l’orpheline, sans lui laisser le temps d’achever ; tu es ?…

— Jacques Chambo.

— Mon frère !

— Laïsa !…

Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Ils étaient encore entrelacés, quand le tombereau entra dans la partie principale de l’habitation d’Alfred. Le gérant y était… Qu’est-ce que je vois, s’écria-t-il, en déroulant un fouet immense, qu’il portait toujours pendu à sa ceinture, Jacques qui embrasse à mes yeux la nouvelle venue… quelle impertinence !… Sur ce, des coups de fouet tombèrent sur le malheureux, et des flots de sang jaillirent de son visage.

II.

Alfred était peut-être bon, humain, loyal avec ses égaux ; mais, à coup sûr, c’était un homme dur, méchant, envers ses esclaves. Je ne vous dirai pas tout ce qu’il fit pour posséder Laïsa ; car celle-ci fut presque violée. Pendant près d’une année, elle partagea la couche de son maître ; mais déjà Alfred commençait à s’en lasser ; il la trouvait laide, froide, insolente. Vers ce temps, la pauvre femme accoucha d’un fils qu’elle nomma Georges. Alfred le méconnut, chassa la mère de sa présence, et la fit reléguer dans la plus mauvaise cabane de son habitation, quoique convaincu, autant qu’on peut l’être, qu’il était le père de cet enfant.

Georges avait grandi sans jamais entendre nommer le nom de son père ; et s’il essayait parfois de percer le mystère qui enveloppait sa naissance, il trouvait sa mère inflexible et muette à ses questions. Une fois seulement elle lui dit :

— Mon fils, tu ne sauras son nom qu’à ta vingt-cinquième année ; car alors tu seras un homme ; tu seras plus capable de garder un pareil secret. Tu ne sais donc pas qu’il m’a défendu de te parler de lui, sous peine de te haïr… et vois-tu, Georges… la haine de cet homme, c’est la mort.

— Qu’importe, s’écriait impétueusement Georges ; je pourrais du moins lui reprocher sa conduite infâme…