l’acte de vente fut signé et toutes les formalités remplis, le vendeur s’approcha de la jeune esclave :
— Cet homme est maintenant ton maître, lui dit-il, en désignant Alfred.
— Je le sais, répondit froidement la négresse.
— En es-tu contente ?
— Que m’importe… lui ou un autre…
— Mais cependant — balbutia le vendeur, en cherchant une réponse.
— Mais cependant quoi ? reprit l’Africaine avec humeur, et s’il ne me convenait pas ?
— Ma foi, ce serait un malheur ; car tout est terminé…
— Alors, je garde ma pensée pour moi.
Dix minutes après, la nouvelle esclave d’Alfred monta dans un tombereau qui prit le chemin des guêpes, route assez commode qui mène à ces délicieuses campagnes, groupées autour de Saint-Marc comme de jeunes vierges au pied de l’autel. Une sombre mélancolie enveloppait son âme ; elle pleurait. Le conducteur comprenait trop bien ce qui se passait en elle, pour essayer de la distraire ; mais quand il vit la blanche habitation d’Alfred se dessiner dans le lointain, il se pencha involontairement vers la pauvre infortunée, et d’une voix pleine de larmes, il lui dit :
— Sœur, quel est ton nom ?
— Laïsa, répondit-elle, sans lever la tête.
— À ce nom, le conducteur frissonna, mais maîtrisant son émotion, il reprit :
— Ta mère ?
— Elle est morte…
— Ton père ?
— Il est mort…
— Pauvre enfant, murmura-t-il…
— De quel pays es-tu, Laïsa ?
— Du Sénégal…
Les larmes lui vinrent aux yeux ; il venait de rencontrer une compatriote.
— Sœur, reprit-il, en s’essuyant les yeux, tu connais sans doute le vieux Chambo et sa fille…
— Pourquoi, répondit la jeune fille en relevant vivement la tête ?