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— Voulez-vous m’écouter à cette heure ?

— Volontiers… Nous nous assîmes, lui sur ma malle de voyage, et moi sur ma valise. Voici ce qu’il me raconta :

« Voyez-vous cet édifice qui s’élève si gracieusement vers le ciel, et qui semble se mirer dans la mer ; cet édifice qui ressemble, par son originalité, à un temple, et par sa coquetterie, à quelque palais, c’est la maison Saint-M***. Dans une des pièces de ce bâtiment, se réunissent chaque jour les flâneurs, les rentiers et les grands planteurs. Les deux premiers jouent au billard, ou fument le délicieux cigare de la Havane ; tandis que les derniers achètent des nègres ; c’est-à-dire des hommes libres, arrachés par la ruse ou par la force de leur patrie, et devenus, par la violence, le bien, la propriété de leurs semblables… Ici, on livre le mari sans la femme ; là, la sœur sans le frère ; plus loin, la mère sans les enfans. Vous frémissez ? cependant ces ventes infâmes se renouvellent à toute heure. Mais bientôt on y propose une jeune sénégalaise, si belle qu’une même exclamation s’échappe de toutes les bouches… « Qu’elle est jolie ! » Chacun la voudrait pour en faire sa maîtresse ; mais nul n’ose lutter contre le jeune Alfred, un des plus riches planteurs de ce pays, âgé alors de vingt-deux ans.

— Combien demandez-vous de cette femme ?

— Quinze cents piastres, répondit le vendeur.

— Quinze cents piastres, répéta machinalement Alfred.

— Oui, Monsieur.

— Au juste ?

— Au juste.

— C’est horriblement cher.

— Cher… répartit le vendeur avec un signe d’étonnement ; mais vous ne voyez donc pas comme elle est jolie, comme sa peau est luisante, comme sa chair est ferme. Elle a dix-huit ans au plus… Tout en parlant, il promenait ses mains impudiques sur les formes puissantes et demi-nues de la belle Africaine.

— Elle est garantie, dit Alfred, après un moment de réflexion ?

— Aussi pure que la rosée du ciel, répondit le vendeur ; mais, au reste, vous pouvez la faire…


— Non, non… c’est inutile, reprit Alfred en l’interrompant, j’ai confiance en vous.

— Je n’ai jamais vendu de mauvaises marchandises, répartit le vendeur, en relevant ses favoris d’un air triomphant. Quand