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tion de le Sage ; le héros passe successivement dans les divers rangs de la vie publique et privée, et tout en racontant ses propres aventures, nous décrit les mœurs de l’époque avec tous leurs détails et leurs diverses particularités. Il fut accueilli par le public avec empressement, et fut pour l’auteur une source de gloire et de profit. On imagina généralement que Smollet décrivait sous le voile de la fiction les aventures de sa jeunesse ; mais le public étendit les applications des caractères de ce roman beaucoup plus loin que l’auteur ne l’avait voulu : on retrouva dans la partie occidentale de l’Écosse les originaux de Gawkey, Crabbe et Polion ; mistress Smollet fut reconnue sous les traits de Narcissa, et l’auteur sous ceux de Roderick Random (identité qui n’admet pas de doute). Un relieur et un barbier, amis de Smollet pendant son enfance, se disputèrent l’honneur d’avoir fourni le modèle de ce Strap si dévoué, si bon et si généreux dans sa simplicité ; et les deux capitaines de vaisseau sous lesquels Smollet avait servi, furent désignés sous les noms déshonorants de Oakum et de Whifle.

PEREGRINE PICKLE. — On a lieu de croire que ce roman fut écrit en 1750, pendant le séjour de l’auteur à Paris, où il agrandit le cercle de ses connaissances en fait de mœurs et de coutumes locales : un peintre petit maître, avec qui il fit connaissance, lui fournit le modèle de l’inimitable palette ; et un médecin qui avait irrité l’esprit national de Smollet en se permettant des remarques offensantes sur l’Écosse, celui du pédant docteur Akenside. Il existe entre le roman de Roderick Random et celui de Peregrine Pickle une différence assez grande : Peregrine Pickle est plus fini, perfectionné avec plus de soin ; il offre des scènes d’un intérêt plus vif et plus compliqué, une plus riche variété d’aventures et de caractères ; mais il y a dans Roderick une aisance et un naturel qu’on ne retrouve pas au même degré dans Peregrine Pickle ; ainsi, les inimitables caractères des marins Trunnion, Pipes, et Hutchway lui-même, tombent presque dans la caricature ; tandis que Bowling et Jack Ratlin, dans Roderick, sont la nature et la vérité même. Mais si la simplicité du premier roman de Smollet ne se retrouve pas dans le second, celui-ci a l’avantage d’offrir une galerie de portraits et une suite d’incidents plus riche que celle de son devancier ; l’auteur y a déployé d’une manière plus brillante et plus variée encore les ressources de son talent et de sa gaieté. Peregrine Pickle ne dut cependant pas entièrement son succès à son mérité intrinsèque : les mémoires d’une dame de qualité, intercalés dans le roman, contribuèrent à sa popularité ; ils contiennent l’histoire de lady Vane, fameuse alors par ses intrigues et sa beauté, et le portrait du généreux et chevaleresque Mac-Kercher ; les anecdotes de la femme galante et du cheva-