Page:Revue des Romans (1839).djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour elle, et le résultat de cette nuit est la ruine de la réputation d’Alexandra, la mort du prince de Listensten, qui écrit, avant de cesser de vivre, une lettre foudroyante à sa femme. Celle-ci, qu’on a fait partir pour sa terre, ignore tout ce qui s’est passé, hors la mort de son époux, auquel elle donne des larmes. Maurice vient bientôt les sécher. Les amants retournent à Saint-Pétersbourg, où Alexandra apprend l’intrigue infernale inventée pour la perdre, et lit la lettre de mort de son époux. Cette lettre terrible lui défend de s’unir à Maurice ; elle sacrifie son bonheur à ces derniers et cruels devoirs, et Maurice désespéré retourne dans sa patrie.

ÉMILIA, ou la Ferme des Apennins, 3 vol. in-12, 1812. — Presque toujours l’amour tient la première place dans les ouvrages des femmes, comme il fait la principale occupation de leur vie. Dans Émilia, cette passion n’est qu’au second rang, c’est principalement à l’amitié que Mme Rolland a consacré sa plume ; et elle paraît avoir été guidée par l’intention de prouver, en dépit des mauvais bruits que la malignité a souvent fait courir sur son sexe, que l’amitié, chez les femmes, pouvait quelquefois usurper tous les droits de l’amour. Dans Émilia, on voit d’un côté jusqu’à quel degré d’héroïsme l’amitié peut élever une âme grande et généreuse, toujours fidèle à la voix de la vertu, et de l’autre, à quels excès peut entraîner un sentiment aveugle qui, pour parvenir à son but, foule aux pieds les devoirs les plus respectables, et ne craint pas d’étouffer les mouvements les plus sacrés de la nature. On sourit au tableau naïf des premières caresses de Blanche et d’Émilia. On se plaît à voir la jeune Blanche, héritière d’un grand nom et d’une immense fortune, accueillir l’orpheline, pauvre, abandonnée, se dépouiller de sa robe pour l’en revêtir, lui jurer amitié et protection pour la vie, et l’on suit avec plaisir les progrès de cette union ; mais lorsque, quelques années plus tard, dans l’âge où le sentiment pur et tranquille de l’amitié se tait ordinairement devant une passion plus violente et moins désintéressée, on voit Blanche céder encore à sa protégée un amant accompli dont la tendresse aurait fait son bonheur si les attraits d’Émilia n’étaient venus renverser d’aussi belles espérances, il est impossible de ne pas être pénétré d’admiration. Nous croyons inutiles de donner ici une analyse complète d’Émilia, et nous pensons qu’il nous suffit d’indiquer le but principal de l’auteur. Mais il nous semble que nous pouvons annoncer d’avance, sans indiscrétion, que le sacrifice étonnant de cette généreuse Blanche n’amène pas le dénoûment comme on pourrait le croire, et que cette fille incomparable, après avoir longtemps vécu pour l’amitié, reçoit enfin de l’amour une digne récompense. Nous regrettons de ne pouvoir indiquer une foule de