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ser, l’auteur avait cherché à déchirer le cœur si cruellement. Les dames implorèrent la pitié de l’auteur avec une candeur qui semble indiquer à la fois leur persuasion qu’elles sollicitaient pour des personnes qui existaient réellement, et que cependant il ne dépendait que de l’éditeur de leurs mémoires de leur assigner la destinée qu’il lui plairait. Une demoiselle, qui désirait vivement la conversion de Lovelace, supplia Richardson de « sauver son âme, » comme s’il s’agissait d’un pécheur vivant, et dont l’état futur dépendît de l’auteur. — Richardson s’endurcit contre toutes ces sollicitations. Il savait que donner Clarisse à Lovelace repentant, ce serait miner l’édifice qu’il avait élevé ; c’eût été devenir complice du criminel, que de lui accorder le prix qu’il s’était proposé de l’accomplissement de son crime atroce ; il eût été récompensé et non puni. La morale sublime du roman était détruite, si le vice n’eût pas été rendu odieux et misérable dans son succès, et si la vertu n’eût pas été honorée et triomphante même dans sa dégradation. La mort de Clarisse pouvait seule attirer sur la tête de celui qui l’avait trahie, le châtiment nécessaire que méritait son crime ; ce crime était trop noir pour pouvoir être expié autrement.

Les caractères de ce roman sont admirablement dessinés. La conduite de Clarisse, après l’outrage qu’elle a reçu, offre les scènes les plus touchantes et les plus sublimes de tous les romans anglais : dans son adversité, elle s’élève tellement au-dessus de tout ce qui l’environne, que son caractère brille d’une splendeur plus qu’humaine. Nos larmes coulent, notre cœur est déchiré ; mais nous partageons la victoire de la vertu, qui triomphe de tous les maux dont les plus grands malheurs et la dégradation même l’ont accablée. Il se mêle un noble orgueil à la douleur que nous ressentons de la détresse d’un être tel que Clarisse, s’élevant au-dessus de l’outrage cruel fait à sa personne ; outrage qui porte avec lui l’idée du déshonneur, quelques circonstances qui l’aient accompagné. Il était réservé à Richardson de montrer qu’il y a une chasteté de l’âme, qui demeure pure et sans tache lors même que celle de la personne a été violée ; et la dignité de Clarisse après sa disgrâce et ses malheurs, nous rappelle ce que dit un poëte de l’antiquité, qu’un homme vertueux sortant vainqueur de sa lutte contre l’adversité, est un spectacle agréable aux dieux immortels. Le caractère de miss Howe contraste entièrement avec celui de Clarisse : elle a plus de perspicacité, plus de connaissance du monde, avec moins de principes abstraits ; son énergie, son dévouement désintéressé à son amie, l’aveu de son infériorité dans toutes les occasions, la présentent sous un point de vue très-noble. Si l’on suit l’auteur dans le développement des