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fait plus que des demi-aveux. Voici comment aurait eu lieu cette correspondance : Mme  Riccoboni, dans l’état d’abandon où s’était écoulée sa première jeunesse, avait rencontré un jeune seigneur qui réunissait tous les moyens de séduction ; il lui offrit la perspective d’un avenir brillant et heureux, elle se laissa abuser par des fausses protestations et fut trompée. C’est sa correspondance avec le perfide qu’elle a publiée, après l’avoir conservée vingt-quatre ans en portefeuille : à la vérité, elle a changé les mœurs, le lieu de la scène, et toutes les circonstances qui auraient pu faire reconnaître les personnages ; mais sa préface, et surtout la lettre de la fin, qui a été évidemment refaite, prouvent que le ressentiment de Mme  Riccoboni n’avait rien perdu de sa force lorsqu’elle publia la correspondance de Fanny Butler. Cette dernière lettre, d’un ton extrêmement pathétique, est un morceau fort remarquable. Fanny n’avait pas toujours écrit de ce haut style ; il règne même beaucoup de gaieté dans certaines lettres, notamment dans la vingt-cinquième : « Vous croyez que je dors peut-être ; j’ai bien autre chose à faire vraiment : on ne fut jamais plus éveillée, plus folle, plus… je ne sais quoi. Je songe à ce merveilleux anneau dont on a tant parlé ce soir : on me le donne, je l’ai, je le mets à mon doigt ; je suis invisible, je pars, j’arrive… Où ? Devinez… Dans votre chambre. J’attends votre retour ; j’assiste à votre toilette de nuit, même à votre coucher : cela n’est pas dans l’exacte décence, mais je suppose que milord est modeste. Vos gens retirés, vous endormi, il semble que je doive m’en retourner ; ce n’est pas mon dessein, je reste… en vérité, je reste… Mais croyez-vous que je respecte votre sommeil ? Point du tout. Pan, une porcelaine ou un bronze sur le parquet ; crac, les rideaux tirés ; pouf, mon manchon sur le nez… Mais milord s’éveillera ; l’esprit rira ; il sera reconnu, attrapé, saisi par une petite patte qui le tiendra bien. On n’a point de force quand on rit ; et puis le silence, la nuit, l’amour… Haye !… Haye !… Haye !… Vite, vite, qu’on m’ôte l’anneau ; bon Dieu ! où m’allait-il conduire ? Je ne voudrais pas l’avoir cet anneau, je craindrais d’en trop faire usage. » Cette lettre est fort joviale, fort leste, et passablement passionnée ; mais il n’y a pas autant de folie dans les autres romans de Mme  Riccoboni ; ils sont même remarquables par une réserve qui n’a rien d’affecté, et fort au-dessus de celui-ci pour l’invention et pour le style.

HISTOIRE DE M. LE MARQUIS DE CRESSY, traduite de l’anglais par Mme  de *** (traduction supposée), in-12, 1758. — Cette production fut très-bien accueillie du public, et le méritait à juste titre. L’intérêt de l’action, la pureté du style, la finesse des réflexions, et le charme des détails, que Mme  Riccoboni rend avec le même bonheur qu’elle les imagine, en font un livre très-remar-