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lâcheté, et que, dans l’occasion, il sait se conduire en homme de cœur.

L’HOMME DU MONDE, trad. par Saint-Ange, 2 vol. in-12, 1775. — L’Homme du monde est encore plutôt l’histoire des épreuves du sentiment qu’une suite d’aventures ; mais ce second ouvrage est très-inférieur au premier. Le talent aimable et pur de Mackensie était plus propre à peindre les douces images de la vertu que les tristes excès d’une dépravation systématique : celui qui nous avait développé les fibres délicates du cœur d’Harley, ne pouvait guère sonder la profondeur de l’âme d’un Sindal. L’infamie de ce Sindal nous peint un homme endurci dans l’égoïsme, par l’habitude d’assouvir ses goûts libertins ; c’est le contraste d’Harley, dont la sensibilité morale a pris un tel ascendant, qu’il n’est plus propre aux affaires journalières de la vie. Le caractère de Sindal est si affreux, que l’on serait tenté de croire qu’il n’a rien de réel, si malheureusement on ne savait pas que, comme dit Burns, les plaisirs des sens endurcissent le cœur et pétrifient la sensibilité, et qu’il n’exista jamais un homme constamment vertueux sans être capable d’une courageuse abnégation de soi-même. L’histoire de Sindal, et particulièrement celle des Annesley, est parfaitement tracée : peut-être l’auteur n’a-t-il rien au-dessus de la scène entre le frère et la sœur près de l’étang.

HISTOIRE DE JULIE DE ROUBIGNÉ, in-12, 1779. — Dans ce beau et tragique roman épistolaire, l’auteur s’est proposé de faire la contre-partie de l’Homme du monde, et de composer un roman dans lequel tous les caractères seraient naturellement vertueux, et dont la catastrophe, comme cela arrive souvent dans le monde, ne serait pas l’effet d’une scélératesse préméditée, mais de passions et de sentiments honnêtes, louables même, qui, ayant été encouragés jusqu’à l’exaltation, et se trouvant en opposition par un hasard funeste, amènent les plus désastreuses conséquences. Julie de Roubigné est une des histoires les plus déchirantes qui aient jamais été écrites. Les circonstances qui atténuent les erreurs des victimes, dont le malheur nous intéresse, nous montrent qu’il n’y a plus ni espérance, ni remède, ni vengeance. Quand un Sindal ou un Lovelace se présentent comme le mauvais principe, comme l’agent de tout mal qui s’opère, nous croyons qu’une chance fera trahir leurs artifices ; leurs victimes, du moins, ont la conscience de leur innocence, et le lecteur conserve jusqu’à la fin l’espoir qu’elles seront vengées ; mais lorsque, comme dans Julie de Roubigné, le retour d’un attachement mutuel entre deux êtres aimables et vertueux, dans leur imprudence, éveille justement l’honneur jaloux d’un mari dont l’âme est haute et fière ; quand nous voyons Julie si fort à plaindre pour avoir sacrifié un premier