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diable, qui ne lui avait rien promis autre chose que de le tirer de prison, lui enfonce ses griffes dans la tonsure, s’enlève avec lui au-dessus du rocher, et, parvenu à une hauteur immense, il lâche sa victime. Le moine vient tomber sur la pointe aiguë d’un rocher, d’où il roule de précipice en précipice jusqu’à ce que, brisé, mutilé, il s’arrête sur le bord d’un torrent. La vie n’est pas encore éteinte dans son corps déchiré, mais il ne peut quitter le lieu où il est tombé, ses membres disjoints et rompus lui refusent leur office ; le soleil, en paraissant sur l’horizon, brûle la tête du pécheur expirant, des millions d’insectes viennent sucer le sang qui coule de ses blessures, s’acharnent sur ses plaies, lui en font de nouvelles et le couvrent de leur multitude ; les aigles déchirent sa chair en lambeaux ; dévoré d’une soif ardente, il ne peut se traîner vers la rivière ! Le malheureux languit ainsi six jours entiers ; le septième, il s’éleva une tempête, la rivière grossie surpassa ses rives, les flots gagnèrent le lieu où était le moine, et leurs cours entraîna vers l’Océan le cadavre du malheureux Ambrosio. — Dans ce roman, Lewis s’est montré supérieur à Anne Radcliff. Ses peintures sombres, mêlées de touches voluptueuses et ardentes, ont de la grandeur et de la force ; les attitudes de ses personnages sont vigoureuses et expressives. Il y a beaucoup de passages qu’on ne peut lire sans un frisson involontaire, tels qu’une histoire de voleur dans une forêt d’Alsace, et l’histoire de la nonne sanglante.

BLANCHE ET OSBRIGHT, suivie de l’Anaconda, traduit par M. de Sennevas, 2 vol. in-12, 1822. — L’action de cette nouvelle se passe au temps des croisades, dans le Palatinat. Le début en est sombre et terrible : la scène s’ouvre par une cérémonie religieuse ; le cercueil d’un enfant assassiné va être déposé dans une tombe de marbre ; le comte Rudiger descend dans le tombeau de son fils, en s’écriant d’une voix de tonnerre : « La terre ne couvrira pas encore l’innocente victime de l’avarice, nos cœurs ne lui diront pas encore un éternel adieu ; je veux jurer, avant de m’en séparer, de ne connaître de repos que lorsque sa mort sera vengée, lorsque j’aurai voué au démon du royaume des ténèbres l’assassin et sa race détestée. Oui, oui ! non-seulement lui, mais sa femme, ses enfants, ses domestiques, tous porteront la peine de son crime ; tous, tous ! Ses vassaux seront poursuivis dans les bois comme des loups dévorants, massacrés partout où on les trouvera ; les tours du château de ses aïeux deviendront la proie des flammes, et on précipitera dans leurs ruines leurs habitants épouvantés. Vengeance, vengeance éternelle sur l’odieuse maison d’Orremberg ! » — Le reste de l’ouvrage est digne de cette exposition. Les caractères sont tracés avec une profonde énergie, et les lecteurs avides d’émotions fortes ne liront pas sans intérêt cet