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cuivre par le burin de Rembrandt. Tout cela est puissant sans doute ; mais l’espèce humaine n’est étudiée dans ce livre que sous un seul point de vue, sous le point de vue horrible ; la vie s’y montre à travers les fentes du cercueil. Il est à regretter qu’on n’y trouve pas un peu de grâce, un peu d’air frais et pur sous un ciel ouvert, un oiseau qui chante en ployant la branche souple du sureau en fleur, un petit enfant qui joue avec le sable, une candide physionomie de bourgeois, fût-elle même un peu niaise. Au lieu de cela, de la terreur, rien que de la terreur ; le grotesque enragé à côté du terrible enragé, toute l’énergie humaine portée sur un seul point, l’existence aperçue sous une seule face, l’extrême épouvante touchant à l’extrême burlesque !

La danse des morts est une conception du moyen âge, inventée par le bohémien Macabre, qui vint du temps des Anglais récréer le populaire parisien par la mise en scène de ce bizarre spectacle. Le dimanche de Pâques fleuries 1438, les crieurs annoncent dans toutes les rues de Paris, pour le jeudi suivant, une nouvelle représentation de la danse des morts. La foule s’y presse ; bourgeois et soudards, moines et filles de joie, truands et damoiselles, des milliers de spectateurs encombrent les étroites limites du cimetière des Innocents, se pressent aux gothiques fenêtres des bâtiments qui l’environnent ; quelques planches forment auprès de la tour des Bois, demeure de Macabre, un ignoble tréteau. Macabre, long, maigre, décharné, dont la cadavéreuse nudité est à peine en quelques parties recouverte d’un linceul, apparaît au public assemblé ; c’est la mort. Aux magiques accents du rebec, elle évoque ses nombreux sujets ; ils viennent : voici le pape, l’empereur, un cardinal, et la cruelle mort les entraîne violemment dans les tournoiements de sa danse infernale, et ne répond à leurs lamentables prières que par les éclats d’une joie ironique. Mais tout à coup l’éclatant soleil d’avril s’efface dans les ténèbres d’une éclipse ; le peuple, saisi d’épouvante, regagne en hâte ses logis et ses églises. Bientôt la mort exerce ses ravages dans la cité qu’assiégent les Anglais, et les crimes s’accumulent sur cette terre de désolation ! Voyez : cloué sur la croix, un enfant meurt exhalant, par les piqûres innombrables dont les juifs ont tatoué son corps, la vie avec le sang ; tout à côté, son père, vieux mari jaloux, étouffe dans les convulsions d’une conjugale angoisse, et Malplaquet, le faux ladre, s’étend dans une bière croyant y reposer, et se réveille au milieu des tortures de la plus effroyable agonie ; plus loin, un moine est boulu vivant dans une chaudière emplie d’eau bouillante, et la compagne de Macabre précipite son despote de mari du sommet de la tour des Bois sur les dalles qui en forment la base ; puis, à son tour, elle expire lapidée par des garnements dont les mains